Ain't No Sunshine (1971)

Plus de soleil

Interprète(s) : Bill Withers

Paroles originales : Bill Withers

Tradaptation : Antoine Guillemain

Les mots en gras font partie de la terminologie de la tradaptation de chansons. Vous pouvez consulter leur définition dans notre glossaire.

- Nous avons longuement hésité entre plusieurs alternatives pour tradapter la phrase-clé, si connue, « Ain’t no sunshine when she’s gone » : « Il fait noir quand elle s’en va », « Le ciel se voile quand elle part », « Le jour se voile quand elle part », « Le ciel s’éteint quand elle part », « Plus de soleil quand elle part », « Plus un rayon de soleil »… Il nous a d’abord semblé essentiel de poser, en lieu et place du mot « shine », une voyelle facilement allongeable, rappelant si possible la sonorité de celui-ci – d’où « Le ciel se voile… ». Cependant, aucune des différentes solutions citées ne nous paraissait satisfaisante. En effet, si nous avons d’abord cru qu’un registre plus soutenu conviendrait mieux à la version française, nous nous sommes finalement dit que la beauté du texte résidait précisément dans sa simplicité, et que ç’aurait été une erreur de rechercher des métaphores trop compliquées. Nous avons finalement retenu « Il n’y a plus de soleil » pour sa simplicité, et parce qu’elle permet à l’interprète d’allonger les voyelles « plus » et « -eil ». De plus, elle répond au principe 1 mot = 1 syllabe (à l’exception du dernier mot). En effet, comme Bill Withers laisse de longues pauses entre les mots, il ne nous paraissait pas judicieux d’écrire un mot tel que « s’éteint » en milieu de vers, qui aurait risqué de se retrouver coupé en deux.

- Notons cependant que nous proposons une alternative à la phrase-clé dans le dernier couplet, où nous avons écrit « Le ciel se voile quand elle part ». Le dernier couplet étant légèrement différent dans l’original, cette solution nous a semblé envisageable. De plus, cette double-traduction met en valeur le fait que « Ain’t no sunshine » est à la fois une phrase simple et poétique, et rend mieux la profondeur de cette phrase-clé.

- Il nous a paru essentiel d’éviter toute explicitation du sentiment éprouvé par le personnage de la chanson, puisque l’original s’attache à ne suggérer sa peine que par le biais d’éléments extérieurs (le soleil qui disparaît, l’obscurité qui se fait, la maison qui perd son caractère familier). Nous nous sommes dont interdit des phrases du type « Et j’ai de la peine », ou les clichés du genre tels que « cœur », « pleure », « larme », « étoile », etc.

- Nous nous sommes rapidement aperçus que le schéma des rimes et l’agencement des sons de la CD avait été soigneusement réfléchi : A-B-A-B-A dans les deux premiers couplets – l’avant-dernier « A » étant une rime approximative –, des rimes internes (« warm », « time ») rappelant la sonorité du mot-clé « shine » (il s’agit du mot le plus mis en valeur car il est posé sur le temps fort principal), une allitération en « g », une répétition qui crée un effet lancinant (« Ain’t no sunshine when she’s gone / And she’s always gone too long / Anytime she goes away »)… En essayant diverses possibilités, nous nous sommes rendu compte que la facture sonore des paroles était précisément ce qui était plaisant à l’oreille, et même ce qui contribuait au sens de la chanson. Nous avons donc estimé indispensable de (1) ménager une certaine alternance des rimes, (2) ne pas recourir systématiquement à des rimes riches et (3) reproduire un certain effet de répétition. Par ailleurs, nous avons tenté de maximiser la chantabilité des paroles en évitant des allitérations déplaisantes telles que « Il fait froid ».

- Si « soleil » rappelle vaguement « sunshine » d’un point de vue sonore, remarquons que le long passage où l’interprète répète vingt-six fois « I know » nous a paru exiger une traduction centrée davantage sur le sens musical que sur le sens textuel. Ce passage, en effet, est plus une plainte, un cri, qu’autre chose. Notre solution « Oh non oh non oh non… » nous semble plus judicieuse et plus naturelle que « Je sais je sais je sais »…

- Du strict point de vue du sens textuel, nous pensons être restés proches des idées de la CD sans réellement en ajouter ou en retirer. Notons les habituelles modulations (« Le ciel se voile » pour « Ain’t no sunshine ») ou transpositions (« Il fait noir » pour « [There is] darkness »). Remarquons également que l’idée contenue dans « It’s not warm » (vers 2, couplet 1) est rendue, par compensation par endroit, au vers 2 du couplet 3 (« Même le soleil a pris froid »), tandis que l’idée contenue au vers 2 du couplet 3 dans « Only darkness » est, elle, rendue au vers 2 du couplet 1, par « Il fait noir ». La raison de cette inversion est simple : nous avons souhaité éviter la répétition « Il n’y a plus de soleil / Même le soleil a pris froid » dans le premier couplet. Puisque nous avons choisi d’écrire « Le ciel se voile quand elle part » plutôt que « Il n’y a plus de soleil » dans le dernier couplet, nous avons jugé possible de réintroduire le mot « soleil » au vers suivant, qui traduit également le « sunshine » du premier vers. Nous reconnaissons que l’image « Même le soleil a pris froid » contraste avec la simplicité délibérée des paroles de la CD, mais nous la trouvions poétique et éminemment chantable. De plus, cette personnification nous semble respecter l’intention créatrice qui consistait à transférer les émotions du personnage sur des éléments naturels.