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Adaptation • Adaptation libre • Accent • Accent tonique • Accentuation • Allitération • Appui • Assonance • Brève • Brève-tremplin • CA (chanson d’arrivée) • CD (chanson de départ) • Césure • Champ lexical • Chanson • Chantabilité • Cheville • Cliché • Clip • Collocation • Coloration • Compensation • Consonnes • Contraction • Contrainte • Couplet • Créativité • Découpe • Diérèse • Diphtongue • E muet • Écart • Enjambement • Équivalence • Explicitation • Fidélité • Fond • Forme • Gain • Gap-filler • Hiatus • Holonyme • Hypéronyme • Hyponyme • Idée-clé • Intention créatrice • Longue • Mélisme • Mélodie • Méronyme • Mesure • Métrique • Modulation • Original (l’) • Perte • Phrase-clé • Pont • Pré-refrain • Principe 1 mot = 1 syllabe • Prosodie • Recréation • Refrain • Registre de langue • Rejet • Rime • Rime interne • Rythme • Sens • Sens musical • Sens textuel • Sous-traduction • Sur-traduction • Syllabe (non) accentuée • Syllabe allongée • Synérèse • Temps • Temps accentué • Temps faible • Temps fort • Tradaptation • Tradapteur/trice • Traductologie • Traductologue • Transposition • Unité de traduction • Vers • Voyelle allongée • Voyelles
Notre définition d’une adaptation de chanson est la suivante : version (écrite dans une langue B) des paroles d’une chanson originale (écrites dans une langue A) qui présente un lien plus ou moins évident avec ces paroles même s’il ne s’agit que d’une idée-clé. Une adaptation fait un usage extensif de stratégies de recréation.
Nous distinguons quatre types de traduction de chanson : les adaptations libres, les adaptations, les tradaptations et les traductions orientées uniquement vers le sens textuel.
(Consultez la rubrique (Tr)Adaptations célèbres pour en savoir plus et pour des exemples).
En traductologie, il n’existe pas de consensus sur ce qui distingue une « traduction » d’une « adaptation » et certains traductologues (comme nous !) pensent que les deux termes font partie d’un seul et même continuum, considérant que (1) toute traduction est une adaptation et (2) l’adaptation est une forme tout à fait valide de traduction, et non une solution de rechange. Une « adaptation » n’est donc en aucun cas méprisable et ne désigne pas une version « moins fidèle » de l’original (la notion de fidélité étant relative) à laquelle on n’aboutirait qu’en dernier ressort, comme le considèrent certains universitaires. À l’inverse, le terme « traduction » ne signifie par forcément « mauvaise traduction » ou « traduction mot à mot » comme le considèrent certains professionnels des milieux artistiques. Nous voyons l’adaptation comme une forme de traduction, terme plus global.
Voir aussi : Tradaptation, Adaptation libre, Contraintes, Fidélité
Notre définition d’une adaptation libre de chanson est la suivante : version (écrite dans une langue B) des paroles d’une chanson originale (écrites dans une langue A) qui ne traduit que le sens musical : seule l’instrumentation et les paramètres formels (métrique, accentuation, éventuellement rimes et sonorités…) sont conservés ; un nouveau texte est créé dans la langue B pour être posé sur la musique, sans rapport avec le sens textuel des paroles originales.
Nous distinguons quatre types de traduction de chanson : les adaptations libres, les adaptations, les tradaptations et les traductions orientées uniquement vers le sens textuel.
(Consultez la rubrique (Tr)Adaptations célèbres pour en savoir plus et pour des exemples).
Voir aussi : Tradaptation, Adaptation, Contraintes, Fidélité
(1) Accent musical : Voir temps accentué.
(2) Accent de mot : Voir accent tonique.
Relief sonore porté par une syllabe dans un mot (« syllabe accentuée », « syllabe tonique » ou « syllabe forte »), prononcée plus longuement et avec plus d’intensité, qui se démarque ainsi des autres (« syllabes non accentuées », « syllabes atones » ou « syllabes faibles »).
L’anglais est une langue où l’accent tonique est très marqué et joue un rôle important. L’accentuation de l’anglais répond à des règles complexes.
En français, l’accent tonique existe de manière moins marquée. À l’échelle du mot, la « règle » est simple : les mots qui se terminent par un e muet (ou e caduc) sont accentués sur l’avant-dernière syllabe (limite ; téléphone ; menthe - sachant que l'on considère « -te » / « -ne » / « -the » comme une syllabe à part entière). Les autres sont accentués sur la dernière syllabe (limité ; téléphoner ; manteau).
En écriture et en tradaptation de chanson, il est préférable de faire coïncider les accents toniques des mots avec les temps musicalement accentués et les appuis du chanteur, pour assurer la fluidité, la chantabilité et la compréhension des paroles. L’inverse crée souvent un résultat déplaisant et peu audible.
Cependant, nous pensons qu’une syllabe atone tombant sur un temps musicalement accentué (ou l’inverse : un accent tonique placé ou un appui pris sur un temps faible musical) peut correctement fonctionner dans certains cas. Si l’accentuation musicale est particulièrement marquée, on aura intérêt à appliquer la règle. Il faut, selon nous, réfléchir au cas par cas : le rythme se prête-t-il à cette modification ? la phrase reste-t-elle compréhensible ? la voyelle accentuée est-elle particulièrement longue ou étirée, de sorte que son accentuation risque de donner l’impression que le mot est coupé en deux ? y a-t-il une autre syllabe forte après le temps faible suivant, risquant ainsi de créer une confusion sur le sens de la phrase (voir exemple (4) ci-dessous) ? l’accentuation non logique d’une syllabe en fin de mot produit-elle un vilain hiatus ?...
Exemples : (Les appuis sont soulignés et indiqués en gras. Ils ne correspondent pas toujours aux accents toniques, voir commentaires ci-dessous.)
1. Emportés par la foule qui nous traîne nous entraîne écrasés l’un contre l’autre
(Édith Piaf, « La Foule », adaptation française par Michel Rivgauche de « Que nadie sepa mi sufrir »)
2. Seasons go and seasons come
Bring the corn and bear the fruit
Quand l’été danse et s’enflamme
C’est le temps de la moisson
(« Steady as the Beating Drum », extrait du film Pocahontas, paroles de Stephen Schwartz, tradaptation française « Au Son calme des tam-tams » de Luc Aulivier, extraite du film Pocahontas, une légende indienne)
3. Painting the roses red
We’re painting the roses red
We dare not stop or waste a drop
So let the paint be spread
[We’re] painting the roses red
[We’re] painting the roses red
Peignons les roses en rouge
Du plus éclatant des rouges
Il faut les peindre coûte que coûte
Sans en perdre une goutte
Peignons ces rosiers en rouge
Peignons ces rosiers en rouge
(« Painting the Roses Red », extrait du film Alice in Wonderland, paroles de Bob Hilliard, tradaptation française « Peignons les rosiers rouges » de Louis Sauvat, extraite du film Alice au Pays des Merveilles)
Dans l’exemple 1, on remarque que les temps musicalement accentués, l’accent tonique des mots et les appuis de la chanteuse coïncident parfaitement (sauf sur le premier mot, « emportés »), ce qui contribue considérablement à l’émotion de la chanson.
Dans l’exemple 2, l’accentuation musicale est particulièrement martelée (et pour cause : elle est marquée par des tams-tams !). En anglais, les temps musicalement accentués coïncident avec des mots d’une seule syllabe (ce sont d’ailleurs les mots importants : les noms et les verbes plutôt que les prépositions) ou avec la première syllabe du mot « seasons », celle qui porte l’accent tonique. La tradaptation française respecte bien la logique accentuelle sauf sur le mot « danse » (normalement accentué « danse ») : le temps fort tombe sur la liaison entre « -se » et le mot suivant (« et »), qui commence par une voyelle. Par conséquent, on croit comprendre « Quand l’été dansait sans flamme » au lieu de « Quand l’été danse et s’enflamme ».
L’exemple 3 est particulièrement intéressant. En anglais, aux vers 1 et 2 comme aux vers 5 et 6, le temps musicalement accentué coïncide avec la première syllabe du mot « painting », celle qui porte justement l’accent tonique. Cependant, une brève (« We’re ») est introduite dans les deux derniers vers en anglais mais pas en français, ce qui a pour effet de décaler tous les accents musicaux d’une syllabe vers la droite en français. Ainsi, dans les deux derniers vers, c’est « -gnons » qui est accentué (cette fois, cela correspond à l’accentuation naturelle de ce mot). De plus, la première syllabe du mot « roses », forte dans les deux premiers vers, devient faible : par conséquent, la syllabe suivante est obligatoirement accentuée. Ainsi, pour éviter le très vilain « Peignons ces ro-seuhs en rouge », les « roses » sont devenues des « rosiers » !
Voir aussi : Accentuation, Temps fort, Temps faible, Appui, Chantabilité, Rythme, Césure
(1) Manière dont les accents toniques sont répartis sur un mot ou groupe de mots.
(2) Manière dont les accents musicaux (temps forts, temps accentués, temps faibles) sont répartis sur une phrase musicale.
Voir Accent tonique, Appui, Temps, Temps accentué, Temps fort, Temps faible
Répétition d’une ou plusieurs consonne(s) au sein d’un même vers ou de vers proches. Elle crée souvent un effet plaisant qui contribue à la chantabilité des paroles, ou un effet rythmique percutant. Elle permet parfois d’illustrer phoniquement le sens des paroles (par exemple, un son [s] répété peut suggérer une douleur, une plainte…).
Exemples :
1. Tic-tac tic-tac
Ta Katie t’a quitté
Tic-tac tic-tac
Ta Katie t’a quitté
T’es cocu qu’attends-tu ?
Qu’attends-tu ? T’es cocu
T’as qu’à t’as qu’à t’cuiter
Et quitter ton quartier
(Boby Lapointe, « Ta Katie t’a quitté », paroles de Boby Lapointe)
2. The silence is slowly killing me
Ce silence intense est un enfer
(Maroon 5, « Misery », paroles de d’Adam Levine, Jesse Carmichael et Sam Farrar, tradaptation d’Antoine Guillemain)
Ici, les paroles en anglais présentent une allitération en [s]. Il nous a semblé au moins aussi important de traduire l’allitération, elle aussi porteuse de sens, que le sens textuel. Les paroles en français présentent une allitération en [s] et une allitération en [t] (permise par la liaison de « est » et « un »).
3. Ah qu'il est beau le débit de lait
Ah qu'il est laid le débit de l'eau
Débit de lait si beau débit de l'eau si laid
S'il est un débit beau c'est bien le beau débit de lait (…)
(Charles Trénet, « Débit de l’eau débit de lait », paroles de Francis Blanche)
Le refrain de cette chanson repose sur une allitération en [l] et sur une allitération en [b]. Si on tradaptait cette chanson, on pourrait sans doute envisager d’utiliser d’autres consonnes pour recréer le principe de l’allitération. Cependant, [l] et [b] sont justement des sons qui rappellent des liquides tels que le lait et l’eau dont il est question dans la chanson. Il pourrait être dommage de les remplacer par d’autres sons moins évocateurs.
Voir aussi : Assonance
Syllabe d’un mot sur laquelle s’appuie le chanteur ou la chanteuse, c’est-à-dire syllabe qu’il ou elle prononce avec plus de relief, d’intensité. (C’est la consonne de cette syllabe qui sert de point d’appui).
Les appuis correspondent normalement aux accents musicaux (temps musicalement accentués), qui eux-mêmes s’accordent tant que faire se peut à l’accent tonique naturel du mot. Il est préférable de prendre appui sur un mot riche de sens plutôt que sur une charnière ou un mot exclusivement grammatical (« un », « a », « de », etc.)
Exemples (les appuis sont soulignés et indiqués en gras) :
1. Les rêves qui les hantent
Au large d’Amsterdam
(Jacques Brel, « Amsterdam », paroles de Jacques Brel)
2. Oh ma douc’ souffran-ce
Pourquoi s’archarner ? Tu r’commen-ces
Je n’suis qu’un êtr’ sans importan-ce
(Indila, « Dernière danse », paroles d’Indila et Karim Deneyer)
Dans l’exemple 1, Jacques Brel prend appui sur la dernière syllabe de « rêves » et de « large » (prononçant « rê-veuh » et « lar-geuh »), alors que ces mots sont naturellement accentués sur la première syllabe (rêves / large) (mots terminés par un e muet : l’accent tonique porte sur l’avant-dernière syllabe). Le résultat a pu être critiqué par certains.
Dans l’exemple 2, Indila prend logiquement appui sur l’accent tonique des mots « souffrance », « recommences » et « importance », même si elle appuie également la syllabe finale (dont le « e » est normalement muet). En revanche, elle prend appui sur l’avant-dernière syllabe du mot « acharner » en raison de la mélodie, alors que l’accent tonique de ce mot tombe naturellement sur la dernière syllabe (« acharner ») : on a l’impression d’entendre « Pourquoi s’acharne ? Et tu recommences ». Dès lors, la phrase devient assez peu compréhensible.
Voir aussi : Temps fort, Temps faible, Accentuation, Accent tonique
Répétition d’un même son voyelle (et particulièrement de la voyelle accentuée) au sein d’un même vers ou de vers proches, souvent pour créer un effet d’harmonie qui contribue à la chantabilité des paroles. Elle peut illustrer un sentiment ou une qualité du propos.
Exemple :
I hate to turn up out of the blue uninvited
But I couldn’t stay away I couldn’t fight it
(Adele, « Someone Like You », paroles d’Adele et Dan Wilson)
Voir aussi : Allitération
Syllabe ou voyelle que l’on prononce plus rapidement.
Voir aussi : Longue, Brève-tremplin
Nous nommons brève-tremplin une syllabe brève non accentuée, à peine perceptible, qui permet au chanteur de mieux prendre appui sur la syllabe suivante. Sur ce site, les brèves-tremplin sont indiquées entre crochets dans les transcriptions de paroles. La présence ou l’absence de brèves-tremplins est liée de près à l’accentuation du vers (voir second exemple ci-dessous).
Exemples :
1. So scared of breaking it that you won’t let it bend
[And] I wrote you [a] hundred letters I will never send
(« Misery » de Maroon 5, paroles d’Adam Levine, Jesse Carmichael et Sam Farrar).
2. (1) We are the daughters of Triton
(2) [Nous] sommes les six filles du roi Triton
(3) Nous sommes les filles du roi Triton
(« Daughters of Triton », extrait de The Little Mermaid, paroles de Howard Ashman, tradaptations extraites de La Petite Sirène : (2) en français parisien, paroles de Claude Rigal-Ansous ; (3) en français québécois, paroles de ?).
Dans ce second exemple, on remarque que la version en français parisien de cette chanson de Disney introduit une brève-tremplin supplémentaire par rapport à l’original, ce qui permet l’ajout d’une syllabe (« six ») et par là-même d’une information supplémentaire, et décale l’accentuation. La version québécoise choisit d’accentuer « Nous », ce qui est peut-être moins chantable, mais correspond davantage à la métrique de l’original qui ne comporte pas de brève-tremplin.
Voir aussi : Brève, Longue, Accent tonique, Temps accentué
Version traduite d’une chanson originale. Synonyme : « la traduction ».
En traductologie, on parle de « texte d’arrivée » ou de « texte cible » pour désigner la traduction d’un original, nous avons donc logiquement choisi d’utiliser les termes « chanson d’arrivée » ou « chanson cible » sur ce site, car nous ne prenons pas que le texte des paroles en considération mais aussi la musique, convaincus qu’une chanson est une adéquation entre musique et texte (paroles) et non la somme de deux éléments distincts.
Version originale (= d’origine, c’est-à-dire en langue étrangère) d’une chanson. Synonymes : « l’original », « la chanson originale ».
En traductologie, on parle de « texte de départ » ou de « texte source » pour désigner le texte en langue étrangère que l’on traduit, nous avons donc logiquement choisi d’utiliser les termes « chanson de départ » ou « chanson source » sur ce site, car nous ne prenons pas que le texte des paroles en considération mais aussi la musique, convaincus qu’une chanson est une adéquation entre musique et texte (paroles) et non la somme de deux éléments distincts.
Voir aussi : Original (l’)
Pause déterminée par la construction rythmique de la phrase et/ou pause marquée par le chanteur à l’intérieur d’un mot ou d’un vers.
En tradaptation de chanson, il faut prendre garde à ne pas couper un mot en deux : par exemple, à ne pas poser un mot de deux syllabes sur deux temps séparés par une césure (là où l’original avait deux mots différents d’une seule syllabe de part et d’autre de la césure). Mieux vaut également éviter de couper en deux un groupe de mots naturellement enchaînés constituant un tout cohérent (un sujet et son verbe par exemple). Le résultat est maladroit et peut nuire à la compréhension et à la chantabilité des paroles, d’autant plus si les syllabes précédant et/ou suivant la césure sont accentuées.
Exemples :
1. L’amour est enfant de bohème
(« L’amour est un oiseau rebelle », extrait de Carmen de Georges Bizet, livret d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy)
La césure malheureuse qui intervient au milieu du mot « en/fant », combinée à une accentuation non logique (ici la première syllabe, « en- », est musicalement accentuée alors que l’accent tonique naturel du mot « enfant » tombe sur « -fant ») peut entraîner des problèmes de compréhension : « L’amour est en fant de bohème » ?, « L’amour est un faon de bohème » ?
2. Entendez-vous dans nos campagnes
Mugir ces féro-ces soldats ?
(« La Marseillaise », paroles de Rouget de Lisle)
Dans cet exemple, on remarque qu’il existe un accent musical sur « -ten- » dans « Entendez-vous » alors que l’accent tonique du mot tombe sur « -dez ». Le vers reste relativement chantable mais sans doute « Entendeeez dans nos campagnes ! » aurait été encore plus efficace d’un point de vue prosodique.
Cependant, dans « féroces », la syllabe accentuée « ro » est allongée et placée sur une note plus haute. Cela oblige à appuyer également la dernière syllabe « -ces », de manière non naturelle. Ainsi, « -roces » (une seule syllabe dans le langage parlé) présente une césure et devient deux syllabes (« ro/ces »). En conséquence, la dernière syllabe « -ces » peut être prise pour un autre mot d’une seule syllabe, et confondue avec son homophone, le déterminant démonstratif « ce » – cela explique pourquoi certains ont cru comprendre « Entendez-vous dans nos campagnes mugir Séphéro, ce soldat ? ».
3. A lark a spree
It’s very clear to see
That a spoonful of sugar
Helps the medicine go down
Medicine go down-own
Medicine go down
Tous les soupirs
N’valent pas mieux qu’un sourire
C’est le morceau de sucre
Qui aide la méd’cine à couler
La méd’cine à couler-er
Méd’cine à couler
(« A Spoonful of Sugar », extrait du film Mary Poppins, paroles de Richard M. Sherman et Robert B. Sherman, tradaptation française « C’est un morceau de sucre » de Christian Jollet, extraite du film Mary Poppins)
Peu de francophones ont compris la phrase-clé de ces paroles pourtant célèbres extraites du film Mary Poppins. Outre le fait que traduire « medicine » par « médecine » est un contresens (le mot désigne en fait un médicament et ne signifie pas « médecine » : Mary Poppins explique qu’un médicament « passe » toujours mieux lorsqu’on y ajoute du sucre), remarquons que là où la chanson de départ avait posé un seul mot sur trois syllabes brèves (me-di-cine), le tradapteur français a posé deux mots (méd’-cin’-à). En effet, en anglais, la césure a lieu entre « medicine » et « go down ». En français, elle devrait logiquement avoir lieu entre « médecine » et « à couler », mais, à la place, elle intervient entre « médecine à » et « couler ». Cette erreur de prosodie combinée à la prononciation ultra-rapide de ce vers fait que les spectateurs francophones ont bien du mal à comprendre « aide la médecine à couler », et entendent plutôt une sorte de formule magique : « la mezzinacouler », « la médinacouler », etc.
Voir aussi : Découpe, Accent tonique, Accentuation, Chantabilité
Ensemble de termes qui se rapportent à une même notion, à un même thème. Ainsi, le champ lexical de la mer couvre du vocabulaire tel que océan, vague, ancre, marin, flots, bateau, salée, iodée, déchaînée, s’échouer, naviguer, couler…
En tradaptation de chanson, on ne peut pas systématiquement garder les mêmes images et employer le même vocabulaire que dans l’original, ne serait-ce que pour des raisons de chantabilité et de métrique. Il est nécessaire de récréer et, pour rester dans le même domaine d’idées, on peut s’appuyer sur les champs lexicaux.
Exemple :
You’d know how the
Time flies only
Yesterday
Was the time of our lives
We were born and raised
In a
Summer haze
Bound by the surprise
Of our glory days
Hier c’était
Le temps d’aimer
Toi et moi
C’était tout c’qui comptait
Les saisons toujours
Chantaient
Les beaux jours
Où l’on danse innocents
Une valse à deux temps
(Adele, « Someone Like You », paroles d’Adele et Dan Wilson, tradaptation française d’Antoine Guillemain)
Dans ce couplet de la chanson « Someone Like You » d’Adele, on relève plusieurs champs lexicaux, principalement celui du temps qui passe et du découpage du temps en différents moments (« time flies », « time », « yesterday », « days », « lives », « summer »), et celui de l’émerveillement associé au commencement de la vie (« born and raised », « surprise », « glory days »). Notre tradaptation ne traduit pas les différents vers littéralement mais recrée l’idée principale en jouant sur ces mêmes champs lexicaux : le temps et le découpage du temps avec « hier », « temps », « saisons », « jours », « à deux temps », et l’émerveillement associé au commencement de la vie avec « les beaux jours » et « innocents ».
Par ailleurs, on note un phénomène intéressant en tradaptation de chanson : souvent, les tradapteurs recréent en puisant dans le champ lexical de la musique et de la chanson. Peut-être ont-ils l’impression d’être fidèles au genre qu’ils traduisent en employant du vocabulaire tel que « chanter » ou « chanson » ! Dans l’exemple ci-dessus, nous avons visiblement nous aussi cédé à cette tentation…
Voir aussi : Hypéronyme, Hyponyme, Méronyme, Holonyme, Recréation
Nous considérons qu’une chanson est composée de deux éléments : la musique et le texte des paroles (= les paroles), auxquels peut éventuellement s’ajouter un troisième élément : le clip.
La musique est elle-même composée de la combinaison mélodique, rythmique et harmonique des sons produits par les instruments mais également par la voix du chanteur, de la chanteuse ou du groupe.
Le texte des paroles, organisé en différents vers groupés en couplets et refrain, allie une certaine forme et un certain fond.
La forme du texte des paroles est fondée sur des paramètres tels que la métrique, la découpe, l'agencement des voyelles et des consonnes, la prosodie, l'accentuation et les rimes. Avec la musique, elle constitue le « sens musical » de la chanson.
Le fond du texte des paroles est ce que les paroles disent, leur propos, les idées qu’exprime ou qu’évoque le texte. Il constitue le « sens textuel » de la chanson.
Nous considérons que les paroles d’une chanson sont intrinsèquement indivisibles de sa musique, tout comme la forme et le fond des paroles sont eux aussi intrinsèquement indivisibles. Chacun de ces constituants n’a pas été créé indépendamment des autres. Aussi, lorsqu’on tradapte les paroles d’une chanson, il convient selon nous de considérer l’unité à traduire comme un tout cohérent fait de tous ces différents constituants : sens textuel et sens musical sont entremêlés, et les paroles doivent non seulement traduire le sens du texte mais aussi la musique (musicalité formelle – c’est-à-dire musique du texte, musique des mots – et musique instrumentale), voire le clip.
Voir aussi : Sens, Forme, Fond, Couplet, Refrain, Vers, Unité de traduction
Caractère plus ou moins « facile à chanter » des paroles d’une chanson.
Le concept de chantabilité semble facile à comprendre mais n’est pas simple à définir. Si on peut affirmer sans trop de risques que des paroles chantables « sonnent bien » et « n’accrochent pas l’oreille », les choses se compliquent quand il s’agit de définir ce qui, précisément, fait qu’elles « sonnent bien » ou « sonnent mal ».
La notion englobe à la fois des considérations concernant la nature et l’agencement des voyelles et des consonnes utilisées dans les paroles, l’accentuation, la métrique, et la découpe. Ainsi, « chantabilité » apparaît comme un terme plus ou moins passe-partout, qu’on utilise lorsqu’on ne précise pas à quelle contrainte formelle en particulier on fait référence (à la place de « ça n’est pas chantable », on pourrait dire : « cette séquence de consonnes est impossible à prononcer » ; « cette syllabe faible tombe sur un temps fort », « il y a une syllabe en trop », « le mot est coupé en deux par un silence »), ou lorsque plusieurs paramètres sont impliqués en même temps.
Les traductologues spécialistes de la traduction de chanson Peter Low et Johan Franzon ont chacun proposé une définition de la chantabilité.
Pour Low, chantabilité est d’abord synonyme d’efficacité et d’« interprétabilité » : comme le texte d’un comédien de théâtre, des paroles chantables sont fonctionnelles dès la première interprétation du chanteur ou de la chanteuse, qui ne doit pas avoir besoin d’ajuster son débit pour être compris(e). Low sous-entend que cette dimension « interprétable » est ce qui va permettre aux paroles d’être chantées avec sincérité et de susciter une émotion chez l’auditeur, mais il n’assimile pas directement la chantabilité à la sincérité ou à l’émotion. Il mentionne plusieurs paramètres qui doivent être observés pour produire une traduction chantable : les paroles ne doivent pas comporter de suites de consonnes engendrant des problèmes de diction (le mot « strict », par exemple, est difficile à chanter à cause de la séquence [s] + [t] + [r] ; la contraction « j’vais », elle aussi, est peu chantable), les voyelles difficiles à étirer ne doivent pas être placées sur des notes longues ou des temps accentués, les mots ou syllabes mis(es) en valeur par la mélodie ou l’interprète dans la CD doivent être traduit(e)s au même endroit dans la CA, et il faut faire correspondre l’accentuation musicale (temps forts, temps faibles) à l’accent tonique naturel des mots.
Franzon va plus loin en incluant dans sa définition de chantabilité non seulement le respect de ces paramètres formels mais aussi la capacité pour les paroles à être en phase avec la musique et à atteindre le but recherché par la chanson : pour lui, une chanson chantable déploie une « unité musico-verbale entre le texte et la composition » et parvient à « délivrer son message et à véhiculer son sens ». Il distingue trois « niveaux de chantabilité » : prosodique (les paroles sont en accord avec la mélodie en respectant rythme, métrique, accentuation, etc.), poétique (les paroles riment si nécessaire, reflètent la structure harmonique, placent les mots-clés aux bons endroits, etc.) et sémantico-réflexif (le sens textuel des paroles reflète ce que suggère la musique). Ainsi, pour Franzon, la notion de chantabilité a trait à la fois ce que nous nommons sens musical (présent dans la forme des paroles) et ce que nous nommons sens textuel (présent dans le fond des paroles).
Remarquons que, de la même manière que Franzon considère que des paroles chantables se doivent d’expliquer avec succès ce qui est perceptible dans la musique, nous pensons qu’une traduction de chanson se doit impérativement d’être chantable, faute de quoi elle ne donne accès qu’au sens textuel et vient rompre la synergie entre texte et musique qui est l’essence même d’une chanson.
On pourrait également ajouter qu’une tradaptation chantable doit bien sûr être chantée par un(e) interprète dont les qualités vocales peuvent « traduire » celles de l’interprète original : en ce sens, la notion de chantabilité dépasse même la chanson en elle-même pour s’étendre au choix de l’artiste. On peut faire un parallèle avec le doublage de films, où les directeurs artistiques tentent de trouver des comédiens français dont la voix est proche de celle des comédiens originaux. Il est évident que la meilleure des tradaptations ne sera pas chantable si elle est chantée par un(e) interprète qui chante faux !
Voir aussi : Consonnes, Voyelles, Prosodie, Accentuation, Métrique, Découpe, Césure, Temps, Temps fort, Temps faible, Rythme, Rime, Fond, Forme
Voir : Gap-filler
(1) (Sens péjoratif) Terme, expression, idée ou image rebattu(e), devenu(e) banal(e) car déjà entendu(e) de très nombreuses fois dans une chanson.
(2) (Sens neutre ou pas nécessairement péjoratif) Terme, expression, image ou idée généralement abstraite, souvent utilisé(e) dans un genre de chanson donné (les chansons d’amour par exemple) ou terme ou expression souvent utilisé en chanson car particulièrement chantable ou parce qu’il est l’un des seuls à présenter une certaine rime (visage / dévisage / envisage / sage).
Par exemple, le mot « cœur » est un cliché des chansons d’amour, car il est chantable (il contient une voyelle allongeable), est composé d’une unique syllabe (il est donc pratique d’un point de vue métrique et accentuel et satisfait le principe 1 mot = 1 syllabe) et rime avec d’autres clichés tels que « bonheur ».
Un tradapteur doit être capable de reconnaître un cliché dans les paroles qu’il tradapte ou, au contraire, la présence d’une image ou d’un terme frappant par son originalité, et savoir s’il peut ou non puiser dans les clichés de sa langue pour le/la traduire.
En outre, l’utilisation de clichés en tradaptation de chanson peut être faite lorsque le tradapteur doit recourir à des stratégies de recréation. Il peut considérer que les paroles de la chanson originale sont représentatives d’un genre plus large, contiennent un fort degré d’intertextualité, un rapport dialogique, avec les chansons du même genre déjà écrites. Considérant que l’original se prête lui-même aux clichés, il peut user des images ou idées-clichés du même genre (mais différentes de celles de l’original), envisageant ainsi l’unité de traduction de manière plus globale, et tradaptant une chanson qui porte en elle tout un réseau de rapports avec les autres chansons du genre.
On peut estimer qu’il faut recourir aux clichés avec parcimonie, car une image originale, saisissante et concrète produit souvent bien plus d’impact qu’une image rebattue exprimée dans des termes abstraits. Le tradapteur a sans doute intérêt à se garder de recourir aux clichés sous prétexte qu’il a peur de prendre trop de libertés en introduisant des détails concrets non présents dans les paroles de départ : en effet, nous pensons que créativité et recréation ne sont pas forcément synonymes d’infidélité à l’original et que les stratégies de recréation peuvent au contraire encore mieux servir l’originalité des paroles de la CD.
Exemple :
I can open your eyes
Take you wonder by wonder
Over sideways and under
On a magic carpet ride
A whole new world
A new fantastic point of view
No one to tell us no
Or where to go
Or say we're only dreaming
Je vais ouvrir tes yeux
Aux délices et aux merveilles
De ce voyage en plein ciel
Au pays du rêve bleu
Ce rêve bleu
C'est un nouveau monde en couleurs
Où personne ne nous dit
C'est interdit
De croire encore au bonheur
(« A Whole New World », chanson extraite du long-métrage d’animation Disney Aladdin, paroles originales de Tim Rice, tradaptation française « Ce rêve bleu » de Luc Aulivier.)
Dans cette chanson du long-métrage d'animation Aladdin, on remarque que les paroles anglaises sont truffées de clichés évoquant « l’univers merveilleux de Disney » en général, tels que « wonder », « magic », « fantastic », « dreaming », etc. La tradaptation française ne les traduit pas systématiquement au même endroit, mais utilise elle aussi, par effet de compensation et par recréation, un grand nombre de clichés propres à ce même univers. Ainsi, on peut argumenter qu’elle considère l’unité de traduction comme beaucoup plus large que la seule chanson en elle-même, et envisage la chanson « A Whole New World » comme appartenant à un genre dans son ensemble, avec lequel elle entretient un réseau de relations intertextuelles.
Voir aussi : Recréation, Unité de traduction
Vidéo d’illustration d’une chanson dans laquelle l’interprète apparaît souvent en train de la chanter, et qui met en scène son propos à travers un court film de la même durée. Les clips sont destinés à être diffusés à la télévision et sur les réseaux sociaux tels que YouTube pour promouvoir la chanson.
Il est intéressant de visionner le clip officiel de la chanson avant de la tradapter : il peut livrer de précieuses informations et considérablement orienter l’interprétation des paroles, même si d’autres lectures restent évidemment possibles. De plus, lorsqu’un tradapteur est amené à déployer des stratégies de recréation, il peut s’appuyer sur les visuels du clip pour créer de nouvelles images. Il considère ainsi l’unité de traduction comme la chanson dans son entier : il ne traduit pas que du texte (les paroles) mais un produit fini, résultat d’une interaction complexe entre texte, musique, voix du chanteur, clip d’illustration, jeu des comédiens, etc. dont toutes les composantes sont porteuses de sens.
N.B. : Le mot « clip » vient de l’anglais. Cependant, en anglais, « clip » désigne un simple extrait de quelque chose, une chose que l’on a « découpée » dans un ensemble plus large. « Newspaper clipping », par exemple, désigne une coupure de presse. Pour dire « clip » en anglais, on ne dira donc pas « clip » mais « (music) video », tout simplement !
Paire de mots qui, idiomatiquement, sont souvent associés au sein d’une langue : « pluie battante » (et pas « pluie frappante »), « rire inextinguible » (et pas « rire irrépressible »), « aller et venir » (et pas « aller et partir »), « carrément mortel » (et pas « incroyablement mortel »), etc. On dit que les deux mots sont les co-occurrents l’un de l’autre.
Les traducteurs sont souvent obsédés par les collocations : il sont soucieux de traduire dans une langue naturelle et idiomatique. Cependant, ils doivent également être capables de reconnaître les situations où l’auteur a utilisé sa « licence » et s’est écarté du langage courant en créant une association de mots fortuite (parfois appelée « collocation marquée ») : la difficulté consiste alors à produire une image nouvelle dans la langue d’arrivée (en déployant des stratégies de recréation si nécessaire) tout en s’assurant qu’elle « sonne bien » pour se préserver des accusations de « mauvaise traduction » — car, si le texte est mauvais, c’est à coup sûr au traducteur qu’on imputera la faute plutôt qu’à l’auteur ! À défaut, le traducteur peut choisir de compenser une association de mots incongrue par une collocation habituelle (ou « collocation non marquée ») mais suffisamment saisissante : par exemple, remplacer une collocation métaphorique telle que « a sinus-rattling wind » (littéralement : « un vent à vous faire vibrer les sinus ») par une expression argotique telle que « un vent à décorner les bœufs », si le registre s’y prête.
Exemples (les collocations sont indiquées en gras) :
1. You raise me up so I can stand on mountains
You raise me up to walk on stormy seas
Donne-moi la force d’escalader les montagnes
Donne-moi la force de traverser les mers
(« You Raise Me Up », paroles de Brendan Graham, tradaptation française d’Antoine Guillemain)
« Stormy seas » est une collocation habituelle (une collocation française équivalente serait « mers démontées » ou « mers déchaînées par la tempête »). En français, le terme « escalader » convient au terme « montagne » (c’est un co-occurrent) et le terme « traverser » au terme « mers » : « escalader les montagnes » et « traverser les mers » sont des collocations. Ici, nous n’avons pas traduit l’idée contenue dans « stormy », et « escalader » ne signifie pas « stand », mais nous avons jugé plus important de reproduire le principe même des collocations, respectant ainsi l’intention créatrice.
2. The sun goes down
The stars come out
Traînée d’étoiles
Soleil couchant
(The Wanted, « Glad You Came », paroles de Steve Mac, Wayne Hector et Ed Drewett, tradaptation française d’Antoine Guillemain)
Stratégie par laquelle un terme plus général, plus plat ou plus neutre est traduit par un terme plus ciblé, plus riche ou plus imagé (notamment en ayant recours à une métaphore, à une collocation, à une expression idiomatique ou à un registre de langue non standard).
Exemple :
I told you you could always count on me darling
Je t’ai promis de ne plus jamais t’oublier
(Marvin Gaye et Tami Terrell, « Ain’t No Mountain High Enough », paroles de Nickolas Ashford et Valerie Simpson, tradaptation française d’Antoine Guillemain)
Ici, si on considère que « Je t’ai promis » traduit « I told you », on peut dire qu’il s’agit d’une coloration, car on passe de l’idée de « dire » (plus neutre) présente dans « I told you » à l’idée de « promettre » (plus forte, plus précise) (présente dans « Je t’ai promis »).
Stratégie de traduction qui consiste à récupérer à un autre endroit de la traduction une idée ou un effet stylistique qui n’a pas pu être rendu(e) à un certain endroit de l’original (COMPENSATION PAR ENDROIT) ou stratégie de traduction qui consiste à employer un autre procédé stylistique que celui de l’original pour produire le même effet ou un effet similaire (COMPENSATION PAR NATURE). Compensation par endroit et compensation par nature peuvent se combiner.
En traduction de chanson, la place étant limitée au sein de chaque vers et la métrique particulièrement contraignante, il est très fréquent de recourir à des stratégies de compensation par endroit. Il faut cependant bien sûr veiller à la cohérence et à la progression des idées, et ne pas introduire une idée trop tôt ou trop tard.
Il est également fréquent d’user de stratégies de compensation par nature. Dans le cas d’une allitération présente dans la CD, par exemple, on remplacera la consonne répétée par une autre consonne soit pour ne pas transiger sur le sens textuel des paroles (il est bien rare que les mots choisis pour traduire les idées de la CD contiennent le même son que le son allitéré dans l’original), soit pour des raisons de chantabilité (il se peut que la consonne allitérée en anglais soit bien plus chantable qu’elle ne le serait en français).
On peut également compenser une rime par une assonance, une allitération par une rime interne, etc., ou encore un dialecte difficile à reproduire par un registre familier, une métaphore qui ne « passe pas » dans la langue d’arrivée par un jeu de mots, etc. Les possibilités sont multiples mais chaque opportunité de compensation doit être envisagée au cas par cas, toujours avec le souci de restaurer l’équilibre général des paroles, en termes d’effet produit sur le lecteur/l’auditeur et de fidélité au sens et à l’intention créatrice de l’original.
La compensation se justifie d’autant plus en tradaptation de chanson que l’unité de traduction n’est pas tant le vers, l’unité lexicale ou l’unité de sens que la chanson dans son entier, et que la multiplicité des contraintes offre au tradapteur davantage de marge de manœuvre afin de rester fidèle. Ainsi, en considérant qu’il doit prendre du recul sur l’original et envisager la chanson dans son intégralité, le tradapteur de chanson n’a plus besoin de s’efforcer systématiquement de reproduire chaque idée ligne à ligne, ou chaque effet par le même procédé stylistique que dans l’original.
Exemples :
1. Never mind I’ll find
Someone like you
I wish nothing but the best for you too
Je retrouverai
Quelqu’un comme toi
Tant mieux si tu vis heureux sans moi-aa
(Adele, « Someone Like You », paroles d’Adele et Dan Wilson, tradaptation française d’Antoine Guillemain)
Dans cet exemple, la métrique du premier vers nous laisse trop peu de place pour exprimer la nuance amère et désabusée (« Tant pis ! », « Peu importe ! ») contenue dans le « Never mind » de l’original. Nous avons tenté de la récupérer deux vers plus bas avec ce « Tant mieux » amer et résigné (compensation par endroit).
2. I’m a new soul
I came to this strange world
Hoping I could learn a bit ‘bout how to give and take
[But] since I came here
Felt the joy and the fear
Finding myself making every possible mistake
Nouvelle Ève qui
Découvre le mond[e] je
Cherche ma place au milieu de son étrange ronde
[Mais] pour l’instant moi
Je vis en noir et blanc
Et sur chaque embûche je trébuch[e] aveuglément
(Yaël Naïm, « New Soul », paroles de Yaël Naïm, tradaptation française d’Antoine Guillemain)
Dans cet exemple, on observe d’abord un phénomène de compensation par endroit : l’idée d’étrangeté du deuxième vers de la CD (contenue dans « strange ») est récupérée dans le troisième vers.
On peut également y voir deux phénomènes de compensation par nature. La perte de l’allitération en [m] du dernier vers de la CD est compensée par l’introduction d’une allitération en [ʃ] (« ch »). De plus, l’effet de dualité et de symétrie présent à travers la chanson (que l’on retrouve dans ce couplet dans « give and take » et « the joy and the fear ») est exprimé par un procédé d’un autre type : la rime interne (embûche / trébuche).
Voir aussi : Unité de traduction, Contraintes
Un des deux types de sons du langage, caractérisé par la présence d’un obstacle dans le conduit vocal (occlusion ou constriction), qui entrave l’écoulement du flux d’air phonatoire (Larousse).
En français, on compte communément 20 consonnes écrites (B, C, D, F, G, H, J, K, L, M, N, P, Q, R, S, T, V, W, X, Z) et 18 consonnes phonétiques, auxquelles il faut rajouter trois semi-consonnes (ou semi-voyelles).
En anglais, on compte communément 21 consonnes écrites (B, C, D, F, G, H, J, K, L, M, N, P, Q, R, S, T, V, W, X, Y, Z) et 24 consonnes phonétiques.
Français
b (robe)
s (souris, pièce)
k (carpe, kiwi, qui)
d (date)
f (face, phare)
g (gare, bague)
l (la, alors)
m (maman)
n (non)
p (petit)
t (tordu)
v (voir, wagon)
z (zèbre, oser)
ŋ (parking)
ɲ (gnôle, agneau)
ʃ (chat, short)
ʒ (journal, gorge)
ʁ (rire)
Semi-consonnes :
j (ail, fauteuil)
w (fouet, voir)
ɥ (fuite, lui)
Anglais RP (anglais « standard »)
b (bat)
s (sit, less)
k (can, sock)
d (duck)
f (fat, coffee)
g (dog)
l (let)
m (mother)
n (no)
p (put)
t (cat)
v (move)
z (zebra, use)
ŋ (king, singer)
ʃ (cash, show, champagne, intuition)
tʃ (chair, nature, catch)
ʒ (illusion)
dʒ (jeep, pigeon, fridge)
r (run)
h (house)
θ (thanks, both)
ð (that, brother, smooth)
j (yes)
w (woman)
On classe les consonnes selon différents critères :
- leur point d’articulation : consonnes alvéolaires (articulées avec la pointe de la langue au niveau des alvéoles), labiales (articulées par un mouvement des lèvres), palatales (articulées au niveau du palais dur), vélaires (articulées au niveau du voile du palais), dentales (l’articulation fait intervenir les dents), uvulaires (articulées contre la luette), etc.
- leur mode d’articulation : consonnes nasales (l’air passe par les fosses nasales), occlusives (fermeture puis réouverture brusque du canal buccal), fricatives (l’air passe par le canal vocal resserré, ce qui produit une impression de frottement), spirantes (comme les fricatives mais le resserrement est plus léger, ce qui ne produit pas de frottement), roulées (la langue vibre), etc.
- le voisement : consonnes voisées (ou sonores) (les cordes vocales vibrent), consonnes non voisées (ou sourdes) (les cordes vocales ne vibrent pas).
Ainsi, on dira par exemple que la consonne [ʒ] présente dans le mot français « bonjour » ([bɔ̃ʒuʁ]) ou dans le mot anglais « illusion » ([ɪ'luːʒən]) est une consonne fricative post-alvéolaire voisée, ou que la consonne [θ] présente dans le mot anglais « think » ([θɪɲk]) est une consonne fricative dentale sourde.
Certaines consonnes sont, a priori, moins chantables que d’autres. Ainsi, en français, une fricative telle que [ʒ] (« j ») est généralement moins facile à chanter qu’une occlusive comme [p] ou [b], dans laquelle l’interprète peut plus facilement « mordre » lorsque la syllabe qui la contient est mise en valeur par un accent musical.
Mais c’est surtout la juxtaposition malheureuse de certaines consonnes à laquelle il faut prendre garde. Un mot comme « lustre », par exemple, qui contient une séquence [s] + [t] + [ʁ] est particulièrement laid à chanter. Et, si certaines répétitions de consonnes (ce qu’on nomme allitérations) sont plaisantes à l’oreille, il est évident qu’il est très compliqué de mettre en bouche un vers tel que « Dis-moi c’que c’est qu’ça » dans une chanson lente qui ne se voudrait pas humoristique. Même chose pour un vers tel que « The dog kissed me », à cause de la juxtaposition de l’occlusive vélaire sourde [g] et de l’occlusive vélaire voisée [k].
En tradaptation de chanson, il est bien sûr impossible de faire coïncider le même type de consonnes aux mêmes endroits dans la CD et dans la CA. Cependant, le tradapteur doit, par exemple, savoir identifier les endroits où les consonnes des syllabes accentuées contribuent à la chantabilité du vers ou à la création d’un certain effet, et éviter de poser une voyelle peu chantable au même endroit.
(Précisons que c’est la consonne des syllabes accentuées qui sert de point d’appui à l’interprète, et non la voyelle).
Exemple :
1. I'm a Barbie girl
In a Barbie world
Life in plastic
It's fantastic
You can brush my hair
Undress me everywhe-e-ere
(Aqua, « Barbie Girl », paroles de Claus Norreen, Soren Rasted, Rene Dif et Lene Nystroem)
On remarque que, dans cet extrait de la chanson « Barbie Girl » d’Aqua, les syllabes accentuées (indiquées en gras) débutent toutes par des consonnes occlusives ([t], [d], [p] et [b]), c’est-à-dire des consonnes « explosives ». Cela permet à la chanteuse de les « faire exploser » en bouche et crée un effet particulièrement percutant. On voit tout de suite que si on traduit le premier vers par « Je suis une Barbie », l’accent musical tombe sur « une » et non plus sur la labiale occlusive [b] de « Barbie », ce qui pose un premier problème de tradaptation.
2. Ah qu'il est beau le débit de lait
Ah qu'il est laid le débit de l'eau
Débit de lait si beau débit de l'eau si laid
S'il est un débit beau c'est bien le beau débit de lait (…)
(Charles Trénet, « Débit de l’eau débit de lait », paroles de Francis Blanche)
Le refrain de cette chanson repose sur une allitération en « l » et sur une allitération en « b ». Si on tradaptait cette chanson, on pourrait sans doute envisager d’utiliser d’autres consonnes pour recréer le principe de l’allitération. Cependant, [l] et [b] sont justement des sons qui rappellent des liquides tels que le lait et l’eau dont il est question dans la chanson. Il pourrait être dommage de s’en priver.
Voir aussi : Voyelles, Chantabilité, Allitération, Accent tonique
Réunion de deux voyelles ou de deux syllabes en une seule. Très courant en chanson pour des raisons de métrique.
Exemples :
1. Y a tout à l’heure
Quinze ans d’malheur
Mon vieux Léon
Que tu es parti
Au paradis
D’l’accordéon
(Georges Brassens, « Le Vieux Léon », paroles de Georges Brassens)
2. Ain’t no mountain high enough
Ain’t no valley low enough
Ain’t no river wide enough
To keep me from getting to you babe
(Marvin Gaye et Tami Terrell, « Ain’t No Mountain High Enough », paroles de Nickolas Ashford et Valerie Simpson)
Ici, « ain’t » est la contraction populaire de « (there) is not » et permet d’économiser deux syllabes.
3. Tonight I’mma fight
‘Til we see the sunlight
(Kesha, « TiK ToK », paroles de Kesha Sebert, Lukasz Gottwald et Benjamin Levin)
Ici, « I’mma » est la contraction de « I’m going to » et permet d’économiser deux syllabes.
Voir aussi : Diérèse, Synérèse, Mélisme, Métrique
Tout élément de la chanson originale porteur de sens ou d’effet que le tradapteur doit prendre en considération dans la production de sa tradaptation. Concrètement, on évoque souvent les contraintes formelles : métrique, accentuation, prosodie, rime, rythme, découpe de la chanson. Evidemment, le sens textuel (les idées développées par les paroles) constitue lui aussi une contrainte, d’ordre sémantique. Citons également la présence de métaphores, de jeux de mots, de références culturelles ou intertextuelles (« clins d’œil » à d’autres chansons du genre), un registre de langue non standard, etc.
La multiplicité des contraintes en traduction de chanson permet d’envisager cette activité sous un autre angle que celui de la fidélité au seul sens textuel des paroles. En effet, une traduction de chanson ne prenant en compte que la contrainte du sens textuel ne peut espérer accomplir que la moitié du travail, et prive le lecteur/l’auditeur de la capacité d’appréhender le sens profond de la chanson, qui est présent aussi dans sa forme (dans sa structure, dans les effets qu’elle produit sur l’auditeur de l’original).
Les théoriciens prônant la créativité en traduction (Perteghella & Loffredo, Boase-Beier, Pattison, Gaddis-Rose, Low…) s’accordent tous à dire que les contraintes sont davantage des tremplins que des obstacles : « les contraintes imposées par la présence d’un texte source permettent et stimulent la créativité de l’acte traductif en plaçant le traducteur dans une situation où il doit s’efforcer de les dépasser » (Holman & Boase-Beier). Plus les contraintes sont nombreuses et variées, plus le traducteur (tradapteur) est amené à exploiter les possibilités de la chanson en déployant des stratégies de recréation afin de trouver des solutions de traduction, au lieu de s’enfermer dans le carcan d’une littéralité qui ne sert nullement l’original. On peut donc estimer qu’il existe un rapport de proportionnalité entre contraintes et créativité.
On note que les paroliers originaux procèdent de la même manière : eux aussi partent souvent des contraintes, dont ils se servent comme d’autant de stimuli vers la créativité. Citons, par exemple, le parolier Michel Arbatz : « La primauté de la musique ne s’applique pas seulement à la mélodie, elle s’applique aussi aux mots eux-mêmes. (…) Là où [la] recherche de mots [du parolier] peut être laborieuse en suivant les associations de sens, par un effort tout intellectuel, elle sera facilitée en dérivant par proximité dans le son même des mots qu’il a déjà choisis. ». Le parolier Claude Lemesle abonde en ce sens, et cite le philosophe Alain : « Le vrai poète est celui qui trouve l’idée en forgeant le vers. Il faut que la rime soit raison. Il faut que l’on sente que l’écrivain n’aurait point tourné par là s’il avait écrit en prose, et que la belle rime a apporté avec elle l’image brillante, que rien n’expliciterait, que rien même ne justifierait sans la nécessité de rimer. Miracle toujours sensible à l’oreille du lecteur, miracle renouvelé. »
Ainsi, traduire (ou tradapter) une chanson, c’est d’abord retracer l’intention créatrice (voir ce terme) de l’original. Il ne faut donc pas envisager les contraintes formelles comme des obstacles à la reproduction fidèle du sens textuel, mais chercher à les reproduire pour ce qu’elles sont : des éléments formels, tout aussi importants que le sens textuel (le sens des idées). Ce faisant, le tradapteur ne se contente plus de traduire de simples paroles sur une feuille : en s’efforçant de faire coïncider le fond et la forme, il retrace – et donc « traduit » – le processus même de recherche et de création par lequel est passé l’auteur de l’original, dont l’intention créatrice a elle aussi été façonnée par la forme et la musique. Pour paraphraser Perteghella & Loffredo, une telle traduction permet de rétablir l’ordre naturel de production du texte, où sa conception précède sa consommation, et de réveiller le texte source en le sortant de son état de produit fini, « fossilisé ».
Voir aussi : Recréation, Sens, Intention créatrice, Forme
Partie de la chanson dont la mélodie peut se répéter mais dont le texte est renouvelé à chaque occurrence. S’oppose au refrain.
Voir aussi : Refrain
Voir Recréation
(1) Organisation des paroles d’une chanson en différents vers. Ce découpage est souvent subjectif. Sur ce site, la découpe en différents vers dans la transcription des paroles d’une chanson n’est pas prioritairement dictée par le sens des paroles et la logique syntaxique, mais par le schéma des rimes et, surtout, par les arrêts marqués par l’interprète : lorsqu’il ou elle marque une longue pause, nous allons à la ligne.
(2) Au sein d’un même vers, organisation des syllabes et des mots en différents groupes séparés par des coupures ou césures, en fonction des arrêts marqués par l’interprète et de phénomènes rythmiques tels que l’accentuation et l’allongement des voyelles.
Voir aussi : Métrique, Vers, Prosodie
Prononciation sur deux syllabes distinctes de deux voyelles successives d’un même mot, normalement prononcées en une seule syllabe.
Il peut être utile de faire la diérèse pour des raisons de métrique. Cependant, certaines diérèses peuvent produire un résultat très laid.
Voir aussi : Synérèse, Diphtongue, Contraction, Mélisme, Métrique
Exemple :
La lune trop blême
Pose un di-a-dème
Sur tes cheveux roux
(« Complainte de la Butte », paroles de Jean Renoir)
En anglais, cas particulier de voyelle qui change de timbre en cours d’émission et qui fusionne deux sons vocaliques différents en une seule syllabe.
On recense généralement huit diphtongues en anglais RP (anglais « standard ») :
[ɪə] (comme dans beer)
[eɪ] (comme dans same)
[ʊə] (comme dans tour)
[ɔɪ] (comme dans coin)
[əʊ] (comme dans nose)
[eə] (comme dans hair)
[aɪ] (comme dans fly)
[aʊ] (comme dans house)
Exemples :
- Le mot « loud » – [laʊd] en écriture phonétique – contient la diphtongue [aʊ], faite du son [a] et du son [ʊ] réunis en une seule syllabe.
- Le mot « here » – [hɪəʳ] en écriture phonétique – contient la diphtongue [ɪə], faite du son [ɪ] et du son [ə] réunis en une seule syllabe.
- En revanche, le mot « read » – [riːd] en écriture phonétique – ne contient qu’un seul son voyelle : le son [iː]. Ce n’est pas une diphtongue.
N.B. : L’existence de diphtongues en français semble controversée. De nombreux phonéticiens considèrent que les diphtongues n’existent pas en français et qu’un mot comme « hier », par exemple, est simplement fait de la juxtaposition de deux voyelles.
Voir aussi : Voyelles, Diérèse, Synérèse, Hiatus
E final d’un mot, que l’on ne prononce pas naturellement en français sauf lorsque l’on possède un accent méridional. En chanson ou en poésie, il est cependant parfois prononcé pour des raisons de métrique ou d’accentuation.
Sur ce site, dans les transcriptions de paroles, un e muet prononcé est souligné, et un e muet non prononcé que l’on pourrait être tenté de prononcer est grisé (ailleurs, on a aussi coutume de remplacer les e muets par des apostrophes).
Exemples :
1. Je chante
Je chante soir et matin
Je chante sur mon chemin
(Charles Trénet, « Je chante », paroles de Charles Trénet)
2. Et elle rêve d’un autre unive-e-e-ers
Où les balles lui passent au trave-e-e-ers
(Coldplay, « Paradise », paroles de Guy Berryman, Jon Buckland, Will Champion et Chris Martin, tradaptation française d’Antoine Guillemain)
Voir aussi : Rime, Accent tonique
Voir : Fidélité
Rejet au début du vers suivant d’un ou plusieurs mots constituant pourtant un tout grammatical avec le vers précédent.
Exemple :
I heard
That you’re
Settled down
That you
Found a girl
And you’re
Married now
Voilà
Tu as
Fait ta vie
Tu t’es
Marié
Elle est
Si jolie
(Adele, « Someone Like You », paroles d’Adele et Dan Wilson, tradaptation française d’Antoine Guillemain)
Voir aussi : Rejet, Découpe, Vers
La notion d’équivalence, comme celle de fidélité, est au cœur de la réflexion traductologique, sans doute parce qu’elle semble définir ce qu’est la traduction – et la traduction, à son tour, semble définir ce qu’est l’équivalence.
Un certain nombre de théoriciens adoptant une approche linguistique ont tenté de préciser la notion d’équivalence en définissant l’unité de texte où elle intervient, le niveau auquel elle s’applique : celui du mot, de la phrase, du texte, etc. Par exemple, si on prend la phrase Faites d’une pierre deux coups : arrêtez l’alcool et la pâte à tartiner !, on peut considérer que le segment « alcool » peut être traduit individuellement (équivalence au niveau du mot) tandis que le segment « pâte à tartiner » doit être traduit comme un seul bloc (équivalence au niveau de la locution) : on ne peut pas traduire « pâte » puis « à » puis « tartiner » indépendamment, l’ensemble des trois mots renvoie à un élément précis (le Nutella et autres produits du genre). De même, le segment « Faites d’une pierre deux coups » est une expression idiomatique chargée culturellement, qui signifie en fait « obtenez deux résultats en employant le même moyen », on ne peut pas le traduire en considérant individuellement chacun des mots le constituant, mais seulement pour ce qu’il est, un idiome (équivalence au niveau de la phrase).
Malgré cela, une question se pose : peut-il exister une parfaite équivalence, c’est-à-dire un rapport d’égalité sémantique, une parfaite synonymie, entre un énoncé dans une langue A et un énoncé dans une langue B ? En d’autres termes, café en français est-il équivalent à coffee en anglais ? Football en français est-il équivalent à football en anglais ? Si on développe ce second exemple, les deux termes football (en français) et football (en anglais) renvoient effectivement à la même réalité (le même jeu de ballon). Cependant, en français, le mot « football » possède une consonance étrangère et renvoie uniquement à un sport. En anglais, le terme est immédiatement connoté « anglais britannique » (les Américains, eux, disent soccer pour désigner le même sport) et il possède un réseau sémantique plus large, puisqu’il veut dire aussi « ballon de football ». De plus, pour un anglophone, il peut évoquer les deux mots qui le composent à l’origine : « ball » (ballon) et « foot » (pied), alors qu’un francophone n’est pas conscient de cette étymologie. De même, si on compare football en français et soccer en anglais américain, les deux termes renvoient bien à la même chose mais ce sport est bien moins populaire aux États-Unis qu’il ne l’est en France : la réalité évoquée est perçue différemment. Bref, la symétrie parfaite entre un énoncé dans une langue A et sa traduction dans autre langue B n’existe pas. Pour tenter de contourner ce problème, l’équivalence a également été définie de manière quantitative (équivalence totale, équivalence partielle, etc.) ou selon la nature du « sens » pris en compte : équivalence référentielle/dénotative, équivalence connotative, équivalence communicative, équivalence expressive, équivalence pragmatique, équivalence stylistique, équivalence textuelle, etc.
En particulier, Eugene Nida a été le premier à proposer une définition de l’équivalence qui prend en compte non seulement le sens du texte original et de sa traduction mais aussi les réactions produites sur le récepteur. En 1964, il introduit le principe de l’effet équivalent et distingue équivalence formelle et équivalence dynamique. Pour Nida, une traduction où l’équivalence est formelle adhère d’aussi près que possible au fond et à la forme de l’original, tandis que l’équivalence dynamique privilégie une expression naturelle et suppose que la traduction s’attache d’abord à susciter le même effet chez son récepteur : « la relation entre le récepteur et le message doit être similaire à celle qui existait entre le récepteur et le message originaux. »
Aujourd’hui, il est admis en traductologie que l’équivalence en tant qu’égalité parfaite (quasi « mathématique ») entre deux langues ou deux textes, quelle que soit sa nature et le niveau où elle intervient, n’existe pas, ne serait-ce que parce que le sens est instable et mouvant, toujours ancré dans un « contexte » et dans une « culture », et que toute traduction est une négociation qui entraîne nécessairement une certaine perte et un certain gain. Le terme « équivalence » continue cependant d’être utilisé, plus par habitude et par commodité qu’autre chose, mais il décrit davantage la relation unissant le texte traduit (la traduction) au texte de départ (l’original), ou celle qui unit de plus petites portions de ces deux textes, mais il est acquis que cette relation est nécessairement, dans une certaine mesure, asymétrique.
En ce qui concerne la traduction de chanson, nous considérons que l’équivalence se doit d’être ce que les traductologues ont pu appeler (avec quelques nuances) une « équivalence dynamique », « communicative », « expressive » ou encore « fonctionnelle ». En effet, dans ce genre où la forme (la musicalité des mots, et la musique) est aussi importante que le fond (le « message » de la chanson), la forme devient elle aussi génératrice de sens, et ainsi le sens des paroles est à la fois d’ordre textuel et musical. De plus, forme et fond sont essentiellement indivisibles, puisqu’ils s’illustrent mutuellement. Il est donc impossible de donner la priorité à une équivalence « dénotative » ou « référentielle » sans rompre ce caractère essentiellement indivisible. En outre, parce que les paroles ne peuvent pas non plus être séparées de l’instrumentation car elles ont été écrites et composées pour aller avec, il est difficile de ne pas porter un regard plus global sur la chanson en tant qu’entité, et par conséquent on ne peut pas envisager une équivalence au niveau du simple vers ou même de la strophe : c’est la chanson d’arrivée dans son ensemble qui est équivalente à la chanson de départ dans son ensemble. Bref, nous pensons qu’une traduction de chanson réussie doit forcément avoir la même fonction que l’original. En d’autres termes, une traduction de chanson « équivalente » est forcément une chanson elle aussi. Pour parvenir à ce résultat, le traducteur a recours à des stratégies de compensation et de recréation, qui participent d’une équivalence globale, orientée vers la fonction communicative et expressive de la chanson d’arrivée.
Voir aussi : Unité de traduction, Tradaptation, Fidélité, Sens, Compensation, Recréation, Chanson
Fait d’introduire dans la CA des précisions absentes de la CD, de rendre plus clair ou explicite ce qui restait vague ou implicite dans la CD.
Ainsi, on pourra dire d’un traducteur qui traduit « The Prime Minister has left 10 Downing Street » par « Le Premier ministre a quitté sa résidence du 10 Downing Street » qu’il a explicité la référence culturelle, jugeant que le public à qui est destinée la traduction risquait de ne pas savoir ce qu’était « 10 Downing Street ».
Un traducteur peut choisir d’expliciter pour différentes raisons. Bien sûr, il faut essayer de résister à la tentation d’une explicitation systématique, car l’original peut être volontairement peu clair, ou riche en sous-entendus qu’il serait dommage de ne pas conserver. Il faut sans doute trouver le juste milieu entre, d’une part, mâcher le travail à son public et, d’autre part, l’empêcher d’avoir accès à l’original dans les mêmes conditions que le public original.
Notons d’ailleurs que la clarification fait partie des douze « tendances déformantes » du traducteur identifiées par le traductologue Antoine Berman.
Exemple :
I am in misery
There ain’t nobody who can comfort me
(Oh yeah)
Why won’t you answer me?
The silence is slowly killing me
(Oh yeah)
Girl you really got me bad
You really got me ba-ad
And I’m gonna get you back
I’m gonna get you back
Mon cœur est en galère
Y a plus personn[e] pour me tirer d’affaire
(Oh ouais)
Joue pas la fille de l’air
Ce silenc[e] intens[e] est un enfer
(Oh ouais)
Car moi je t’ai dans la peau
Oh je t’ai dans la peau-eau
J’ai pas dit mon dernier mot
Pas dit mon dernier mot
(« Misery » de Maroon 5, paroles d’Adam Levine, Jesse Carmichael et Sam Farrar, tradaptation française d’Antoine Guillemain).
En passant de « I am in misery » à « Mon cœur est en galère », notre refrain français rend plus explicite le fait que la souffrance de l’homme est causée par une peine de cœur. Nous avons cependant validé cette tradaptation car « Mon cœur est en galère » nous semblait plus soutenu que « Je suis dans la galère », et donc plus proche du registre du vers original. Nous avons également trouvé la formulation « Mon cœur est en galère » plus originale, plus percutante et donc plus mémorable. Enfin, la situation n’étant pas très claire dans l’original, nous avons pensé que ce ne serait pas du luxe d’expliciter un peu – car au fond, traduire, n’est-ce pas rendre plus intelligible ?
Terme employé pour désigner le degré de ressemblance, de représentativité, d’une traduction vis-à-vis du texte original. Ce degré est apprécié selon des critères variables.
La notion de « fidélité » en traduction était déjà employée dans la Rome antique, et a fait l’objet de nombreuses définitions au fil des siècles. On l’a souvent opposée à celle de « liberté ». On a également pu contraster « fidélité à la lettre », « fidélité au sens » et « fidélité à l’esprit ». Récemment, la notion tend à être remplacée en traductologie par celle d’équivalence (voir ce mot).
Le postulat d’une traduction « parfaitement fidèle » semble vouloir dire que le traducteur a scrupuleusement reproduit l’original sans s’en « écarter », et que rien dans la traduction n’a été perdu ni gagné par rapport à cet original. La pratique montre que c’est impossible en raison des différences fondamentales entre les langues : toute traduction entraîne nécessairement certaines pertes et certains gains. On peut envisager la traduction comme une sorte de négociation où ce qui est « perdu » à un endroit et/ou sous un certain aspect peut être « gagné » à un autre endroit et/ou sous un autre aspect (voir : compensation).
Par conséquent, parler de « fidélité » ou d’« écart » en traduction n’a pas de sens si on ne précise pas à quoi on est fidèle ou de quel aspect on s’écarte. Par exemple, en tradaptation de chanson, le tradapteur pourra sacrifier quelque peu la chantabilité d’un vers pour se montrer « fidèle » à l’idée-clé de ce vers, ou « s’écartera » du sens textuel d’un jeu de mots ou d’une métaphore pour se montrer « fidèle » au principe même (ce que nous nommons également intention créatrice) du jeu de mots ou de la métaphore (en recréant un nouveau jeu de mots ou une nouvelle métaphore).
En ce qui concerne la traduction de chanson, nous estimons qu’une traduction « fidèle » est forcément une tradaptation, c’est-à-dire un compromis entre fidélité à ce que nous nommons le sens textuel de la chanson originale et fidélité à ce que nous nommons son sens musical. En effet, nous considérons que le sens d’une chanson est présent à la fois, et dans des proportions similaires, dans ce que les paroles veulent dire et dans ce que les paroles font entendre. Il est donc crucial de traduire de manière équilibrée ces deux aspects, qui sont essentiellement imbriqués l’un dans l’autre.
Or, pour mener à bien sa tradaptation, afin de ne pas s’enfermer dans le carcan des très nombreuses contraintes présentes dans la chanson originale (sens textuel, rimes, rythme, métrique, accentuation, etc.), le tradapteur n’a pas d’autre solution que de recourir à des stratégies de compensation et de recréation.
Par conséquent, on peut proposer une nouvelle définition de la fidélité en traduction de chanson : puisque celle-ci ne peut qu’être fidélité à la fois au fond et à la forme, et qu’il est impossible de parvenir à une tradaptation sans recréation, fidélité devient synonyme de créativité (voir ce mot).
Voir aussi : Tradaptation, Équivalence, Recréation, Contraintes, Compensation, Sens
Propos général des paroles d’une chanson, qui constitue le sens textuel des paroles. Le fond des paroles est souvent illustré par leur forme ainsi que par d’autres éléments au-delà du texte : la musique (mélodie, rythme), le clip accompagnant la chanson. Le fond constitue avec la forme un tout indivisible qui compose les paroles de la chanson.
Voir aussi : Chanson, Forme, Sens
Aspect esthétique des paroles d’une chanson, fondé notamment sur la métrique, la prosodie, l’accentuation, la découpe et la rime. La forme des paroles détermine leur chantabilité. Elle constitue, avec la musique, ce que nous nommons le sens musical de la chanson. Elle illustre le fond des paroles et constitue avec lui un tout indivisible qui compose les paroles de la chanson.
Voir aussi : Chanson, Fond, Sens, Chantabilité
Voir : Fidélité
Mot court, onomatopée ou parfois expression plus longue, dépourvu(e) de réel sens, que l’on insère dans un vers déjà écrit pour remplir un ou plusieurs temps sur le(s)quel(s) aucune parole n’a encore été posée.
Il s’agit souvent de « oh » (en français et en anglais), de « oui » (en français), de « yeah » (en anglais) ou de « oh yeah » (en anglais). Des conjonctions de coordination sans utilité apparente (« et », « ou », « mais ») peuvent aussi servir de chevilles. Des mots comme « baby », « babe », « girl », etc. peuvent également être considérés comme des gap-fillers, ainsi que des expressions telles que « crois-moi », « listen », « tu sais », etc. Un mot peut également être répété une ou plusieurs fois pour boucher un trou, servant alors de filler.
Exemple :
Si tu savais c’ que je vois
Oui je n’ai d’yeux que pour toi
Je donn’rais tout pour tes bras
Pour te serrer contre moi
(« Can’t Take My Eyes Off Of You » de Frankie Vallie, paroles originales de Bob Crewe et Bob Gaudio, tradaptation française d’Antoine Guillemain)
Succession de deux sons voyelle appartenant à des syllabes différentes. L’hiatus crée un résultat désagréable à l’oreille et peu chantable.
Exemple :
Je m’voyais déjà
Adulé et riche
Signant mes photos aux admirateurs qui se bousculaient
(Charles Aznavour, « Je m’voyais déjà », paroles de Charles Aznavour)
Dans « Je m’voyais déjà », Charles Aznavour évite l’hiatus entre « adulé » et « et » en marquant une pause au milieu des deux mots.
Voir aussi : Chantabilité
Voir HYPÉRONYME, HYPONYME, MÉRONYME, HOLONYME
Un hypéronyme est un terme plus englobant (plus générique) par rapport à un autre terme plus spécifique, appelé hyponyme. Par exemple, « meuble » est un hypéronyme de « buffet », de « table », etc. « Saison » est un hypéronyme d’« été ».
À l’inverse, un hyponyme est un terme plus spécifique par rapport à un autre terme plus générique, appelé hypéronyme. Par exemple, « rose » et « jonquille » sont des hyponymes de « fleur ». « Maison » et « gratte-ciel » sont des hyponymes de « bâtiment ».
Un méronyme est un terme qui possède avec un autre terme une relation de partie à tout. Par exemple, « poignée » est un méronyme de « porte » et « doigt » est un méronyme de « main ».
Un holonyme est un terme qui possède avec un autre terme une relation de tout à partie. Par exemple, « porte » est un holonyme de « poignée » et « main » est un holonyme de « doigt ».
D’une langue à l’autre, les mots ne renvoient pas toujours à la même réalité, car chaque langue « découpe » la réalité d’une manière qui lui est propre*. Lorsqu’un terme dans une langue A n’a pas d’ « équivalence stricte » dans une langue B, le traducteur peut employer un hypéronyme, un hyponyme, un méronyme ou un holonyme de ce mot s’il le juge approprié en contexte.
Par exemple, le terme anglais « wilderness » qui désigne, au sens propre, une région sauvage et naturelle déserte, pose souvent problème en traduction. En français, selon le contexte, on pourra utiliser, par exemple, les hyponymes « jungle » ou « désert ».
En tradaptation de chanson, on peut envisager de traduire un mot difficilement chantable, trop long ou trop court par un hyponyme, un hyperonyme, un méronyme ou un holonyme, pour rester dans le même champ lexical et pour améliorer la chantabilité du vers ou pour des raisons de métrique.
Exemple :
[And] I wrote you [a] hundred letters I will never send
Je t’ai écrit des mots que tu n’auras jamais
(« Misery » de Maroon 5, paroles d’Adam Levine, Jesse Carmichael et Sam Farrar, tradaptation française d’Antoine Guillemain).
Ici, « mots » est un méronyme de « letters » (relation partie-tout : un courrier est composé de plusieurs mots). C’est un terme bien plus chantable que « lettres », qui contient un « r » difficile à prononcer (surtout à côté du « q » du mot suivant).
Voir aussi : Champ lexical
* (En fait, on pourrait même arguer que, d’une langue à l’autre, deux mots ne renvoient jamais exactement au même concept, car un mot dans une langue A, si simple soit-il, a des connotations différentes de son supposé « équivalent » dans une langue B, ne serait-ce que parce qu’il n’est pas utilisé dans les mêmes expressions, les mêmes contextes, avec la même fréquence, etc.).
Voir HYPÉRONYME, HYPONYME, MÉRONYME, HOLONYME
Idée principale d’une chanson, d’un couplet ou d’un refrain. L’idée-clé est souvent résumée dans une phrase-clé.
La plupart des auteurs de chansons soulignent l’importance de traiter la même idée-clé au sein d’une strophe sans se perdre en digressions, tout en sachant décliner les exemples et anecdotes sous-jacents permettant de l’illustrer.
Par conséquent, en tradaptation de chanson, il est nécessaire d’identifier l’idée-clé d’une strophe afin d’opérer des choix judicieux : quelles images doit-on à tout prix conserver ? à quelles images peut-on en substituer d’autres (lorsque la forme nous y contraint) ? Bien souvent, en comparant des chansons originales et leurs tradaptations, on observe que le sens textuel de l’idée-clé est préservée, tandis que la tradaptation des idées annexes qui en découlent a fait l’objet de davantage de recréation.
Exemple :
Ça s’en va et ça revient
C’est fait de tout petits riens
Ça se chante et ça se danse
Et ça revient ça se retient
Comme une chanson populaire
L’amour c’est comme un refrain
Ça vous glisse entre les mains
Ça se chante et ça se danse
Et ça revient ça se retient
Comme une chanson populaire
Love is like the kind of song
That goes on and on and on
As you sing a little dance
A little cry a little laugh
A little love will call the tune
Love is like a great refrain
It will leave and come again
As you sing a little dance
A little cry a little laugh
A little love will call the tune
(Claude François, « Chanson populaire », paroles originales de Nicolas Skorsky, tradaptation française « Love Will Call the Tune » de Norman Newell)
Dans cet exemple, on constate que l’idée-clé (l’amour est semblable à un refrain/une chanson) est reproduite en ces mêmes termes dans la version anglaise (« love is like the kind of song… » ; « love will call the tune » ; « love is like a great refrain »), alors que d’autres idées secondaires (l’amour est fait de petits riens / l’amour glisse entre les mains) ne se retrouvent pas en ces termes.
Voir aussi : Phrase-clé
Nous nommons « intention créatrice » ce qui a présidé au choix de l’emploi d’un terme ou d’une expression par le parolier de la chanson originale : parfois, une expression n’est pas là tant « pour le fond » que « pour la forme », pas tant pour l’idée qu’elle exprime ou évoque (son sens textuel) que pour l’effet qu’elle produit. C’est très souvent le cas en chanson, où la forme du texte, sa musicalité, comptent au moins autant que son sens textuel, et contribue elle aussi au « sens ».
Dès lors, le tradapteur aurait tort de se focaliser sur le sens textuel, et fait mieux de traduire le principe sous-jacent qui a conduit le parolier à écrire cette expression sur le papier – et sur la mélodie.
La recherche de l’intention créatrice force le tradapteur à remonter le processus de création par lequel est passé l’auteur, et à devenir, comme lui, un (re)créateur. Nous pensons qu’une bonne tradaptation de chanson (mais c’est aussi valable pour n’importe quelle bonne traduction) est celle où le tradapteur a su ne pas se contenter de traduire un produit fini (des mots sur une feuille) mais s’est efforcé de retracer l’intention créatrice.
Exemples :
1. En tradaptant New Soul (Yaël Naïm), nous avons rapidement buté sur le sens textuel de certaines expressions telles que « Hoping I could learn a bit ‘bout what is true and fake » (quelle vérité et quel mensonge ?) ou « Hoping I could learn a bit ‘bout how to give and take » (donner et prendre quoi ?). Il nous était difficile de comprendre le sens de ces idées que la parolière avait couchées sur le papier et en musique. Puis, nous avons constaté que ces paroles qui nous semblaient floues jouaient systématiquement sur un parallélisme de construction : « …give and take », « …the joy and the fear », « …what is true and fake », « …trust and love ». Nous avons compris que ces nombreux phénomènes de parallélisme contribuaient à un certain esthétisme où la forme prime sur le sens textuel des paroles. Dès lors, nous pensons que ç’aurait été passer à côté de la chanson que de chercher à retranscrire à tout prix le sens textuel de ces expressions. Nous avons plutôt cherché à rendre l’intention créatrice : le sens des paroles est précisément contenu dans l’effet de parallélisme lui-même, qui reflète les sentiments de la femme, ballottée dans des directions contraires depuis qu’elle est arrivée dans ce nouveau monde étrange que chante Yaël Naïm. Nous avons donc cherché à reproduire avant tout un certain esthétisme dans la forme. Il nous semble que « Je vis en noir et blanc » (obtenue par recréation), par exemple, garde à la fois le principe du parallélisme de « Felt the joy and the fear », et l’idée que la jeune femme de la chanson passe par tous les états d’âme, faisant une expérience du monde en demi-teinte. Par ailleurs, l’introduction de rimes internes (absentes de la CD) telles que « Et sur chaque embûche je trébuche aveuglément » et « Qu’on jetait la haine pour réapprendre à dire je t’aime » permet de conserver l’effet de parallélisme (par compensation par type : la perte du jeu syntaxique est remplacée par une rime).
2. En tradaptant Poker Face (Lady Gaga), nous nous sommes vite rendu compte que la priorité était de traduire l’intention créatrice plutôt que le sens textuel, c’est-à-dire le principe même des jeux de mots (autour du poker et du casino, doublés d’allusions érotiques) plutôt que le sens textuel de ces jeux de mots en eux-mêmes. Nous avons commencé par effectuer des recherches terminologiques et dresser, d’une part, une liste de termes liés au poker, aux cartes et aux jeux de hasard (ex. : cartes, carré, carreaux…), puis une seconde liste d’expressions courantes contenant les mots de la première liste (ex. : abattre ses cartes, carré VIP, se tenir à carreau…). En cela, nous avons sans doute procédé de la même manière que le parolier anglais lorsqu’il a écrit la chanson originale.
Voir aussi : Forme, Sens, Recréation
Syllabe que l’on prononce plus longuement.
Voir aussi : Syllabe allongée, Brève
Modulation par laquelle ce qui aurait pu être une seule syllabe longue est chantée sur plusieurs syllabes brèves posées sur plusieurs notes différentes, souvent pour des raisons de métrique.
Exemples :
1. Oh I think that I’ve found myself a cheerleader
She is always right there when I nee-eed her
(OMI, Cheerleader (2011), paroles de Omar Samuel Pasley, Clifton Dillon, Mark Bradford et Ryan Dillon)
Ici, « need » est « coupé en deux », et chanté sur deux notes différentes.
2. Dans l’univers de Jean-Christophe
Se cache un jardin secret
Où vit tout un mon-de enchanteur
En plein cœur de la-a forêt
(« Winnie the Pooh », in Les Aventures de Winnie l’ourson, paroles originales de Richard M. Sherman et Robert B. Sherman, tradaptation française de Louis Sauvat et Luc Aulivier, seconde traduction [1977])
Ici, « monde » est chanté sur deux syllabes (« mon / deuh » ; on entend le e muet), « mon- » et « -de » étant chantés sur deux notes différentes. Même chose pour « la ».
Voir aussi : Diérèse, Synérèse, Contraction, Métrique
Partie instrumentale qui se prête au chant, constituée d’une succession de sons de hauteur différente et des accords qui les soutiennent.
Voir aussi : Rythme
Voir HYPÉRONYME, HYPONYME, MÉRONYME, HOLONYME
Section de la durée musicale qui constitue un cycle rythmique régulier. La mesure est subdivisée en temps.
Voir aussi : Temps, Temps fort, Temps faible
(1 – Texte) Nombre précis de syllabes dans un vers et groupement de ces syllabes en différentes unités (séparées par des coupures ou césures, plus ou moins longues). La métrique doit coïncider avec le rythme de la chanson.
N.B. : Lorsqu’on parle de métrique, on se situe au niveau textuel (des paroles), lorsqu’on parle de rythme, on se situe au niveau musical.
Dans une tradaptation, lorsque la mélodie et le rythme de la chanson originale ne changent pas et que la métrique doit coïncider avec (c’est le parti que nous avons pris sur ce site), il est très rare de pouvoir rajouter ou soustraire une syllabe. Dans quelques rares cas, selon la longueur des syllabes de l’original et leur accentuation, il peut être possible « d’empiéter » sur un temps non chanté, d’allonger une syllabe là où deux brèves sont présentes dans l’original ou, à l’inverse, de poser deux brèves là où une longue est présente dans l’original. Nous cherchons cependant à éviter de recourir à ces solutions afin que le lecteur de nos tradaptations comprenne instinctivement comment les chanter.
Pour coller à la métrique originale, il est fréquent d’omettre des éléments (il est alors nécessaire d’avoir bien identifié l’idée-clé du couplet ou refrain) ou d’en introduire par recréation. On peut aussi supprimer les gap-fillers de l’original, ou au contraire en introduire.
N.B. : Au départ employé en versification, le terme « métrique » est en fait utilisé ici de manière imprécise car il renvoie normalement à la poésie métrique, fondée sur le nombre de pieds (et non de syllabes), un pied étant composé de plusieurs syllabes.
(2 –Musique) Groupement d’unités de temps en mesures. (Ce sens n’est pas celui utilisé sur ce site quand nous parlons de « métrique »).
Voir aussi : Temps, Découpe, Gap-filler, Rythme, Mélodie, Brève, Longue, Syllabe allongée
Procédé courant de traduction (décrit pour la première fois en 1958 par Vinay et Darbelnet) impliquant un changement de point de vue, de perspective.
Chuquet et Paillard (1987) distinguent les modulations métaphoriques (impliquant un « déplacement de sens par similarité », c’est-à-dire le recours à une image similaire mais différente), les modulations métonymiques (impliquant un « déplacement de sens par contiguïté : partie pour une autre, contenu/contenant, cause/conséquence ») et les modulations grammaticales (impliquant une transposition globale du statut grammatical d’une proposition, comme la négation du contraire).
Exemples :
1. It hit me like the sky fell on me fell on me
La foudre a frappé le sort est scellé
(The Wanted, « Glad You Came », paroles de Steve Mac, Wayne Hector et Ed Drewett, tradaptation française par Antoine Guillemain)
Ici, dans les deux cas, l’idée d’un choc est exprimée : en anglais grâce à l’image du ciel qui tombe sur la tête, en français grâce à l’image de la foudre qui s’abat. Il y a un changement de point de vue d’ordre métaphorique de l’anglais au français (modulation métaphorique).
2. If I can make it there
I'll make it anywhere
It's up to you
New York New York
Et si j’ai su te plaire
C’est à la terre entière
Que je plairai
New York New York
(« New York New York », paroles de Fred Ebb, tradaptation française d’Eddy Marnay)
Ici, la même idée est exprimée dans « anywhere / la terre entière » : en anglais, la personne réussira « partout », en français, elle plaira à « la terre entière ». Il y a un glissement de point de vue relevant du remplacement du tout par la partie (« la terre entière » fait partie de « anywhere ») (modulation métonymique).
En traductologie, l’expression « l’original » désigne le texte d’origine (appelé également « texte de départ » (TD), « texte source » (TS) ou encore simplement « le texte »), c’est-à-dire le texte que l’on traduit.
Sur ce site, l’expression « l’original » signifie donc « les paroles de départ, les paroles que l’on traduit » et l’expression « la chanson originale » signifie « la chanson de départ » (CD) ou « la chanson source » (CS), c’est-à-dire celle dont on tradapte les paroles.
L’expression ne signifie pas que la chanson ou les paroles sont « originaux » au sens de « nouveau, inédit, hors du commun ».
Voir aussi : Chanson de départ (CD), Chanson d’arrivée (CA)
Voir : Fidélité
Phrase ou expression généralement percutante, marquante et imagée, répétée à plusieurs endroits de la chanson (souvent dans le refrain), et qui constitue souvent le titre de la chanson. Elle résume souvent l’idée-clé au cœur des paroles.
Pour qu’une chanson marque les esprits et que l’on se souvienne de ses paroles, il est important qu’elle possède au moins une phrase-clé qui retienne l’attention par l’originalité de ses évocations et/ou sa chantabilité. Une chanson qui ne possède pas de titre ou de phrase-clé percutante risque bien souvent de ne pas marquer les esprits. Le tradapteur a tout intérêt à faire très attention à sa tradaptation de la phrase-clé de la CD. Même si, à cet endroit crucial de la chanson, il est important de rendre le sens textuel, il doit aussi savoir s’en écarter si besoin pour recréer une phrase tout aussi marquante dans la CA et ainsi traduire autant l’effet produit par la chanson sur l’auditeur que son sens textuel.
Exemple :
Ça s’en va et ça revient
C’est fait de tout petits riens
Ça se chante et ça se danse
Et ça revient ça se retient
Comme une chanson populaire
L’amour c’est comme un refrain
Ça vous glisse entre les mains
Ça se chante et ça se danse
Et ça revient ça se retient
Comme une chanson populaire
Love is like the kind of song
That goes on and on and on
As you sing a little dance
A little cry a little laugh
A little love will call the tune
Love is like a great refrain
It will leave and come again
As you sing a little dance
A little cry a little laugh
A little love will call the tune
(Claude François, « Chanson populaire », paroles originales de Nicolas Skorsky, tradaptation anglaise « Love Will Call the Tune » de Norman Newell)
Dans ce fameux refrain interprété par Claude François, l’expression-clé est « chanson populaire », qui constitue également le titre de la chanson. On constate que la tradaptation « A little love will call the tune » conserve la métaphore, qui assimile l’amour à une chanson [« tune » signifie « chanson », « air », en anglais], tout en ne traduisant pas littéralement afin de recréer un effet percutant (l’anglais joue sur l’expression idiomatique « call the tune », que l’on pourrait également traduire par « mener la danse », « conduire le bal », etc.).
Voir aussi : Idée-clé
Couplet de transition, généralement situé dans la seconde partie de la chanson, dont la mélodie est différente de celle des précédents couplets.
D’une manière générale, sur ce site, nous nommons « pont » tout couplet de transition qui n’est pas un pré-refrain.
Voir aussi : Pré-refrain, Couplet, Refrain
Couplet de transition situé juste avant le refrain, qui sert à préparer l’auditeur à la partie centrale de la chanson qu’est le refrain.
Voir aussi : Pont, Couplet, Refrain
Principe selon lequel l’utilisation exclusive de mots d’une seule syllabe permet de contourner les problèmes d’accent tonique mal placé (mais pas forcément de garantir une parfaite chantabilité puisque d’autres paramètres sont à prendre en compte, comme le type de son utilisé ou la découpe du vers).
Exemple :
I love you baby and if it's quite all right
Mon cœur bat pour toi et si tu disais oui
(« Can’t Take My Eyes Off Of You » de Frankie Vallie, paroles originales de Bob Crewe et Bob Gaudio, tradaptation française d’Antoine Guillemain)
Si on avait tradapté ce vers par « Envie de t’aimer et si tu disais oui… », par exemple, la syllabe « t’ai » aurait été musicalement accentuée alors que l’accent tonique naturel du mot « aimer » est sur « -mer ». Le résultat aurait été plutôt laid, et on aurait même pu comprendre autre chose, comme « En vie » ou « de tes mets ». Notre tradaptation « Mon cœur bat pour toi » utilise cinq mots d’une syllabe chacun, ils sont donc forcément accentués sur leur unique syllabe.
Cependant, notons que si nous avions écrit « Je t’aime mon bébé », bien que « t’aime » ne comporte qu’une seule syllabe, le vers aurait tout de même été très difficile à chanter, en raison de la consonne nasale [m] et de la proximité immédiate d’un autre « m » (dans « mon »).
Voir aussi : Accent tonique, Accentuation, Temps accentué, Temps fort, Temps faible, Chantabilité
Art de régler correctement la longueur et l’accentuation des syllabes de manière à mettre en accord leur phrasé verbal et leur traitement mélodique. (Larousse de la musique).
Voir aussi : Métrique, Rythme, Césure, Accentuation, Accent tonique
Stratégie de traduction consistant à exploiter les caractéristiques de la chanson originale comme un tremplin pour créer de nouvelles idées ou images, absentes de l’original, mais reproduisant sa logique interne. L’usage de stratégies de recréation est directement proportionnel au nombre de contraintes présentes dans la chanson originale.
La créativité en traduction ne doit pas être considérée comme une solution de facilité qui négligerait le devoir de fidélité envers l’original, mais bien comme une stratégie à part entière permettant une plus grande fidélité.
La créativité en tant que stratégie de traduction à part entière s’inscrit dans une vision de la fidélité en traduction passant par ce que certains traductologues nomment, avec Eugene Nida, « équivalence dynamique », qui suppose la nécessité de rendre non seulement le sens textuel de l’original mais aussi l’effet que celui-ci produit sur le lecteur (ou l’auditeur, etc.).
En traduction de chanson, les contraintes sont trop nombreuses pour que le traducteur puisse être « parfaitement fidèle » (si tant est que ce soit jamais possible) au sens textuel des paroles originales tout en réussissant à rendre de manière satisfaisante les effets produits par la forme. Dès lors, une certaine flexibilité vis-à-vis du sens textuel s’impose : le traducteur traduit désormais l’intention créatrice autant que le sens textuel. En devenant, comme l’auteur, un (re)créateur, le traducteur recrée le dynamisme des paroles originales – envisageant l’unité de traduction comme la chanson dans son entier (plutôt que de traduire les vers ou les idées les uns après les autres). La recréation apparaît ainsi comme le meilleur moyen d’aboutir à une traduction qui préserve et équilibre l’ensemble des forces en présence dans l’original, dans un genre où le son contribue au sens de la chanson autant que les idées du texte. Vu sous cet angle, le résultat global est plus fidèle à la chanson originale que ne pourrait l’être une traduction centrée sur le sens textuel et ignorant par-là même les contraintes formelles et le sens musical de la chanson. Le concept de fidélité (voir ce mot) est ainsi réévalué et devient parfaitement compatible avec la notion de créativité.
La légitimité de la créativité en traduction se justifie d’autant plus par les conceptions dites « post-modernes » de la traduction et des textes en général, qui posent que tout texte contient toujours des échos, des traces et des influences d’autres textes ou supports préexistants et entretient avec eux un rapport dialogique dépassant largement le simple cadre du texte lui-même. (À ce sujet, le parolier Michel Arbatz cite Georges Brassens, qui disait : « Au lieu de dire « Je crée », je devrais dire « Je recrée ». Rien de nous n’est tout à fait de nous. ») L’original est ainsi perçu comme étant déjà lui-même une recréation. Dans les chansons, la multiplicité des contraintes formelles (métrique, rime, prosodie…) et des médiums (texte, musique, clip, intertextualité avec les autres chansons du même genre) permet de concevoir leur traduction comme devant être représentative non du simple sens textuel de leurs paroles mais bien d’un ensemble plus large. Cette approche dialogique et intertextuelle de la traduction découle elle-même de conceptions philosophiques arguant en faveur de la non fixité du sens et déconstruisant l’autorité du texte original. Elles conçoivent le sens des mots comme mouvant, toujours différent et différé (voir le concept de différance de J. Derrida), existant seulement au contact d’autres mots, et chaque fois défini différemment. Cette non stabilité conduit le traducteur à renoncer à une quête de la fidélité à tout prix (un concept qui devient très relatif) et à une servitude absolue vis-à-vis des contraintes de l’original. Dès lors, ces contraintes deviennent un tremplin vers (et non plus un obstacle à) sa créativité.
Les idées émergeant lors d’un processus de recréation ne sont pas créées de nulle part : le traducteur ne se substitue pas à l’auteur (bien que la question de l’auctorialité d’une traduction puisse être débattue) et en aucun cas il ne « se fait plaisir » en opérant une manipulation gratuite du texte original.
Francis R. Jones définit les actes créatifs en traduction de poésie (qu’il nomme « ré-image ») comme « les stratégies qui n’essaient pas tant de reproduire des éléments du texte source que de générer de nouveaux éléments compatibles avec le texte cible pour faire de celui-ci un poème de plein droit ». Au cœur de sa démonstration se trouve la notion de compromis idéal entre le sémantisme du texte source et le naturel imposé par le texte d’arrivée, récurrente chez les théoriciens de la traduction de chanson (comme Peter Low) : les stratégies de « ré-image » produisent du contenu nouveau tout en restant dans le même champ sémantique, dans le même « ordre d’idées ».
On peut donc dire qu’on est face à de la recréation en traduction lorsque les deux critères suivants sont satisfaits : (1) le traducteur produit de nouvelles idées ou images absentes de l’original mais (2) ces idées sont générées par des éléments tangibles présents dans l’original. En somme, le traducteur-recréateur s’écarte du sens textuel tout en s’appuyant sur l’original. Il ne crée pas à sa guise ; plutôt, il recrée.
Concrètement, l’expérience de la traduction de chanson nous permet d’identifier quelques éléments tangibles majeurs sur lesquels s’appuie la recréation, et qui correspondent en gros aux différentes composantes d’une chanson (voir ce terme) :
1. La recréation peut s’appuyer sur des associations d’idées : les idées recréées découlent directement des idées de la CD (souvent elles sont déclinées de l’idée-clé ou de la phrase-clé qui, elle, est préservée), jouent sur les champs lexicaux, s’appuient sur les collocations offertes par la langue d’arrivée ou encore les clichés du genre (voir ces termes).
Notons que de nombreux paroliers originaux déclarent procéder de la même manière (par associations d’idées) pour écrire leurs chansons. Ainsi, le parolier Claude Lemesle recommande de « savoir décliner toutes les idées annexes qui peuvent jaillir de l’idée principale ». Le parolier Michel Arbatz, quant à lui, inventorie différents types d’associations d’idées : « par le son, par un cliché, par une image, par proximité de sens, par des enchaînements d’images, par déduction pratique, par le souvenir d’un son, par le souvenir d’une odeur ». Il écrit aussi : « Je pense qu’il faut inverser la démarche : partir du matériau-mot et associer les mots par paires ou par séries signifiantes. Le sens vient en second, et vient toujours. Chassez le sens, il revient au galop. »
2. La recréation peut s’appuyer sur des contraintes formelles de la CD – contraintes musicales (rimes, allitérations et assonances, prosodie, accentuation…) ou encore textuelles (jeux de mots, registre de langue…).
Le texte d’arrivée peut traduire la forme plutôt que le fond (et par-là même traduire ce que nous nommons « l’intention créatrice » plutôt que le sens textuel) et les idées recréées sont alors imposées par la forme. On peut prendre l’exemple très fréquent d’une rime trouvée dans le dictionnaire qui fait jaillir une nouvelle idée. On observe aussi souvent une volonté de faire terminer un vers de la CA par le même son que celui qui termine le vers de la CD correspondant car ce son se prête particulièrement bien à la musique ou à l’humeur de la chanson à cet endroit. Pour prendre un exemple parmi des tas d’autres, Hugues Aufray traduit le « Knock knock knocking on heaven’s door » de Bob Dylan par « Knock knock ouvre-toi porte d’or ».
Le texte d’arrivée peut aussi ne pas seulement traduire ces contraintes là où elles sont présentes dans la CD (ou ailleurs par effet de compensation par endroit), mais introduire un nombre encore plus grand de ces éléments, exploitant ainsi l’intention créatrice de l’original comme tremplin pour recréer. Les idées qui apparaissent dans la CA sont ainsi justifiées par l’intention créatrice. On peut prendre l’exemple basique de la création de jeux de mots par le tradapteur, motivée par la présence d’autres jeux de mots déjà existants dans la CD.
Là encore, notons que les paroliers originaux eux-mêmes s’appuient sur les contraintes pour écrire leurs textes. Citons le parolier Michel Arbatz : « Je voudrais revenir sur l’efficacité que représentent les contraintes imposées. On peut rechigner à s’y coller, mais en entrant dans la chanson, vous êtes déjà sur un terrain truffé de contraintes (…). Prenons-les donc plutôt comme un défi, mieux, comme un aiguillon à notre imagination. »
3. La recréation peut s’appuyer sur la musique (l’instrumentation) de la CD : la musique, elle aussi porteuse de sens, inspire au tradapteur de nouvelles idées. On peut considérer alors qu’il « traduit la musique » de la même manière que le parolier de la CD l’a fait avant lui.
4. De la même façon, la recréation peut s’appuyer sur des éléments visibles dans le clip de la CD : des informations visuelles (non évoquées dans les paroles de départ) sont mentionnées dans les paroles d’arrivée.
Notons que dans les cas (3) et (4), le texte de l’original et sa traduction sont ici plus que jamais envisagés comme des « textes multiples » faisant partie d’un ensemble plus large, et entretenant un rapport dialogique avec tous les éléments qui composent la chanson.
Le traductologue Klaus Kaindl insiste sur le fait qu’un traducteur de chanson, pour produire une traduction, est influencé par l’ensemble du contexte de la chanson (la musique, le clip, le genre auquel elle appartient…), et pas seulement par ses paroles (qu’il s’agisse de leur forme ou de leur sens textuel) : « Bien souvent, on ne reconnaît même pas qu’il existe une relation entre texte et musique, et on se concentre uniquement sur des aspects linguistiques tels que métaphores, changements stylistiques, et sur le fond. Même lorsqu’on évoque la dimension non-verbale (…) celle-ci est généralement réduite aux contraintes structurelles imposées par la musique sur [les paroles]. Bien sûr, il est vrai que la musique prédétermine certaines décisions du traducteur d’ordre syntaxique et prosodique, mais le rôle des composantes non-verbales [de la chanson] dépasse largement les aspects de forme et de structure. »
Exemple :
He’s a tramp
But they love him
Breaks a new heart
Every day
He’s a tramp
They adore him
And I only hope he’ll stay that way
He’s a tramp
He’s a scoundrel
He’s a rounder
He’s a cad
He’s a tramp
But I love him
Yes even I have got it pretty bad
(…)
He’s a tramp
He’s a rover
And there’s nothing more to say
If he’s a tramp
He’s a good one
And I wish that I could travel his way
Wish that I could travel his way
Wish that I could travel his way
Il se traîne
Mais on l’aime
Il traîne les cœurs
Après lui
Il se traîne
Mais quand même
On le suivrait jusqu’au bout de la vie
On le traque
Il s’échappe
C’est un rôdeur
Un tocard
Mais je craque
Pour cette gouape
Même s’il se traîne un air de chien bâtard
(…)
Mauvaise graine
C’est un rôdeur
Au moindre bruit il s’enfuit
Mais il me traîne
Par un bout d’cœur
Et je le suivrais au bout de la vie
J’le suivrais au bout de la vie
J’le suivrais au bout de la vie
(« He’s a Tramp », extrait de Lady and the Tramp, paroles de Peggy Lee et Sonny Burke, tradaptation française « Il se traîne » extraite de La Belle et le Clochard, paroles de Charles Leveel)
Dans cette chanson extraite de La Belle et Clochard de Disney, l’idée de « flemmardise », de « traînasserie » n’est pas présente dans l’original. Dans sa tradaptation française, on constate donc que même la phrase-clé « Il se traîne » a fait l’objet de recréation. Elle est à l’évidence inspirée par la nécessité de recréer le son traînant « tr- » (présent dans « tramp », qui signifie « clochard ») mais traduit également la nonchalance de la musique et de l’interprétation de la chanteuse de la CD. Bien plus, on constate que cette nécessité de produire des sons « râpeux » a également servi de tremplin à la recréation de plusieurs idées à travers la chanson : « on le traque », « mauvaise graine », « rôdeur », etc. On peut également arguer que la phrase « Il se traîne » provient d’une association d’idées fondée sur la représentation du clochard : traîne-savates, négligé, mollasson. Dans tous les cas, on peut affirmer que la CA fait une remarquable utilisation de la forme et de la structure de la CD pour recréer des images.
Voir aussi : Contrainte, Fidélité, Sens, Unité de traduction
Partie répétée de la chanson, identique (ou presque) tant par la mélodie que par le texte. S’oppose aux couplets. Le refrain est généralement la partie la plus mémorable de la chanson.
Voir aussi : Couplet
Utilisation de la langue à un degré plus ou moins recherché, qui passe par l’emploi exclusif d’un certain type de vocabulaire ou d’une certaine syntaxe, par la présence ou non de figures de style, etc. On distingue les registres vulgaire, argotique, populaire, familier, courant et soutenu.
En traduction, il est important de traduire ce que l’original veut dire, mais également l’effet produit par l’original sur le public d’origine. Cibler le bon registre contribue pour beaucoup à reproduire fidèlement cet effet. Ainsi, la phrase « She was reading a book » peut aussi bien se traduire par Elle était à la lecture d’un ouvrage que par Elle lisait un livre ou Elle bouquinait. Selon qui la prononce, on ne la traduira pas de la même façon, et on voit bien que l’effet produit change du tout au tout, même si le sens textuel, lui, ne change pas.
En écriture de chanson, le caractère plus ou moins familier ou soutenu du registre va souvent de pair avec l’humeur qui se dégage de la musique (grave ou légère, etc.). Dans ce genre où il faut soigneusement peser chaque mot, où chaque mot marque l’auditeur non seulement par son sens textuel mais aussi par sa forme et sa sonorité, l’emploi d’un mot appartenant au registre familier ou soutenu au beau milieu de paroles parfaitement standard peut « faire tache » encore plus quand dans d’autres types de texte (ou, au contraire, créer une rupture volontaire intéressante).
Exemples :
1. When I am down and oh my soul so weary
When troubles come and my heart burdened be
Then I am still and wait here in the silence
Until you come and sit awhile with me
Quand tout est noir et que j’ai l’âme qui soupire
Quand le cœur lourd je dois craindre le pire
Dans le silence immobile j’attends mon heure
Tu viens alors me réchauffer le cœur
(Josh Groban, « You Raise Me Up », paroles de Brendan Graham, tradaptation française d’Antoine Guillemain.)
Dans cette chanson, le registre est soutenu, notamment à travers l’utilisation d’expressions comme « my soul so weary » ou encore d’une syntaxe comme « my heart burdened be ». Nous nous sommes attachés à reproduire ce registre dans notre tradaptation, notamment à travers l’utilisation de métaphores poétiques (« j’ai l’âme qui soupire ») et de l’inversion de l’ordre naturel des mots (« Dans le silence immobile j’attends mon heure »).
2. J’ai dîné à London (don don)
Les rosbifs me pardonnent (donnent donnent)
Mais c’était dégueulasse (lasse lasse)
De becqueter cette mélasse (lasse lasse)
(Pierre Perret, « J’ai dîné à London », paroles de Pierre Perret.)
Pierre Perret est connu pour son emploi d’un registre argotique dans bon nombre de ses chansons.
Voir aussi : Fidélité
Procédé consistant à repousser quelques mots, un mot ou une syllabe d’un vers au suivant pour créer un effet de relief, ou permettre la création d’une rime.
Exemple :
Sous aucun prétexte
Je ne veux
Avoir de réflexes
Malheureux
Il faut que tu m’ex-
-Pliques un peu mieux
Comment te dire adieu
(Françoise Hardy, « Comment te dire adieu », paroles originales « It Hurts to Say Goodbye » d’Arnold Goland, adaptation française de Serge Gainsbourg.)
Certains rejets permettent d’économiser une syllabe et d’introduire un jeu de mots : le dernier mot du vers ou le premier mot du vers suivant possède alors un double sens.
Exemples :
1. Et moi je suis un homme
Qui aime bien ce genre de
Je(u) n’aime pas les nonnes
Et j’en suis tombé amoureux
(Renan Luce, « La lettre », paroles de Renan Luce.)
2. No one really needs to
No one really needs to
No one really needs to know
(The Jungle Giants, « No One Needs to Know », paroles de Cesira Aitken, Keelan Bijker, Andrew Dooris et Samuel Hales.)
3. One more point of contention
I need some intervention
Approach with vague intentions
Betray my short attention span
The distance bridge the border
Beg forgiveness round the corner
(Blink-182, « Every Time I Look for You », paroles de Travis L Barker, Thomas Delonge et Mark Hoppus.)
Voir aussi : Enjambement, Découpe, Vers
Répétition d’un ou plusieurs même(s) son(s) à la fin de deux ou plusieurs vers.
La plupart des paroliers s’accordent à dire que la présence de rimes contribue au succès d’une chanson : l’oreille humaine y est habituée, elle permet de mieux se rappeler les paroles, crée un agréable effet de symétrie. Cependant, ils jugent aussi que la « rime pour la rime » n’est pas souhaitable : parfois, il vaut mieux ne pas rimer du tout. De l’avis de beaucoup, il faut faire un usage naturel de la rime et ne pas en être esclave : elle doit servir le propos et non l’inverse, et une chanson en prose peut parfois produire un effet tout aussi efficace.
Pour ces mêmes raisons, on évitera autant que possible les inversions et ruptures syntaxiques non naturelles pour satisfaire à la rime.
On distingue qualité des rimes et genre des rimes. Les rimes sont organisées en un schéma plus ou moins régulier.
EN FRANÇAIS
Rime léonine ou très riche
Deux syllabes (ou plus) sont répétées en fin de vers (nature / mâture ; sultan / insultant).
Rime riche
Trois sons sont répétés (ex. ensemble / ressemble ; silence / vigilance).
Rime suffisante
Un son voyelle est répété ainsi que le son (voyelle ou consonne) qui le précède ou le suit (chanter / goûter ; bouc / souk ; jouet / ouais – en faisant la diérèse).
Rime pauvre
Il s’agit d’une simple assonance de fin de mot : seul un son voyelle est répété (chanter / dansé ; lent / facilement).
Rime approximative
Ce n’est pas vraiment une rime, mais la répétition repose sur une assonance doublée d’un son consonne proche (monde / longue ; sage / cache ; onde / ombre)
La plupart des paroliers s’accordent à dire qu’en chanson, il n’est pas nécessaire de rechercher à tout prix la rime riche, car une rime suffisante, pauvre ou même approximative produit le même effet à l’oreille (ce qui n’est pas le cas en poésie). Le tradapteur n’aura donc aucun scrupule à remplacer une rime riche par une rime pauvre si cela lui permet de conserver une autre caractéristique de l’original (sens textuel, métrique…).
En français, la rime en « é / er » est la plus courante et, si certains paroliers conseillent de l’éviter car elle est facile (il en va de même pour les rimes en « -ant » ou « -ent » en français ; pour les rimes en « -ing », en « it », « him », « me », « you », etc. en anglais), remarquons qu’elle peut offrir une plus grande marge de manœuvre au tradapteur (qui a alors davantage de mots à sa disposition) et ainsi lui permettre d’aboutir au meilleur compromis entre respect de la forme musicale et respect du sens textuel.
EN ANGLAIS
Full rhyme ou perfect rhyme ou true rhyme
La dernière syllabe accentuée est répétée ainsi que toutes les lettres qui la suivent (hand / band ; picky / tricky)
Imperfect rhyme ou half rhyme ou slant rhyme ou near rhyme ou…
Les définitions relatives à chaque type de rime « imparfaite » varient selon les écoles. Évoquons surtout :
- Les rimes où la dernière syllabe accentuée est répétée mais pas les lettres qui la suivent (hand / hang) (il s’agit en fait d’une assonance, ou vowel rhyme)
- Les rimes où la dernière syllabe accentuée est différente mais la ou les lettres qui la suivent est/sont répétée(s) (hand / bind ; bent / ant ; hall / hell)
- Les pararhymes où les consonnes de part et d’autres de la voyelle sont les mêmes mais la voyelle est différente (flip / flop ; lives / leaves)
Rime féminine
EN FRANÇAIS, une rime féminine est portée par des mots terminés par un e muet (ou e caduc) (qui peut cependant être suivi d’une terminaison du pluriel –s ou d’une désinence grammaticale comme –ent).
Exemples :
1. J’ai dans le cœur quelque part de la mélancolie
Mélange de sang barbare et de vin d’Italie
(Michel Sardou, « Je viens du Sud », paroles de Pierre Delanoë et Michel Sardou)
2. Les rêves qui les hantent
Au large d’Amsterdam
(Jacques Brel, « Amsterdam », paroles de Jacques Brel)
(Ici, la rime féminine est interne.)
EN ANGLAIS, une rime féminine (ou « rime double ») est portée par des mots d’au moins deux syllabes dont l’avant-dernière syllabe est accentuée (forte, tonique) et la dernière ne l’est pas.
Exemple :
I don’t know how you were diverted
You were perverted too
I don't know how you were inverted
No one alerted you
(The Beatles, « While My Guitar Gently Weeps », paroles de George Harrison)
Ici, c’est la syllabe « er » qui est accentuée alors que la syllabe « ted » ne l’est pas.
Rime masculine
EN FRANÇAIS, toute rime qui n’est pas féminine (qui ne se termine pas par un e muet) est dite rime masculine.
Exemple :
Mon cœur bat pour toi et si tu disais oui
Tu pourrais je crois me réchauffer la nuit
(« Can’t Take My Eyes Off Of You » de Frankie Vallie, paroles originales de Bob Crewe et Bob Gaudio, tradaptation française d’Antoine Guillemain)
EN ANGLAIS, une rime masculine est portée par des mots dont la dernière syllabe est accentuée (forte, tonique). Par conséquent, toute rime portée par un mot d’une seule syllabe est masculine. Mais certains mots de plus d’une syllabe peuvent présenter une rime masculine, lorsque leur schéma accentuel fait porter l’accent tonique sur la dernière syllabe et non l’avant-dernière.
Exemples :
1. So scared of breaking it that you won’t let it bend
And I wrote you a hundred letters I will never send
(« Misery » de Maroon 5, paroles d’Adam Levine, Jesse Carmichael et Sam Farrar).
2. Miracles miracles
That’s what life’s about
I found you and you found me
We are not without
(« Miracles » de Don Williams, paroles de Roger Cook).
Ici, « about » et « without » présentent une rime masculine, car c’est la dernière syllabe (« out ») qui est accentuée dans chacun des deux mots, et non l’avant-dernière.
On a l’habitude de symboliser l’organisation des rimes par des lettres. Chaque lettre représente un même son.
Citons les schémas les plus simples et les plus connus :
- Rimes continues (monorhyme en anglais) : schéma AAAA…
- Rimes plates ou suivies (couplet rhyme en anglais) : schéma AABB
- Rimes croisées (alternate rhyme ou cross-rhyme en anglais) : schéma ABAB
- Rimes embrassées (enclosed rhyme ou enclosing rhyme ou envelope rhyme ou arch-rhyme ou chiasmic rhyme en anglais) : schéma ABBA
- Rimes tripartites : schéma AAB CCB DDB et quadripartites : schéma AAAB CCCB DDDB
- Rimes redoublées : schéma AABA ou AAAB ou ABAA ou...
La chanson offre de multiples possibilités de disposition des rimes et un parolier peut innover en combinant les schémas. Plusieurs vers peuvent ne pas rimer au sein d’un même couplet, et un schéma libre peut être adopté : ce sont souvent le rythme et la mélodie qui indiquent la nécessité de faire rimer ou non un vers.
En tradaptation de chansons, il est très courant de modifier le schéma des rimes. En effet, s’il doit respecter scrupuleusement le schéma de l’original, le tradapteur devient extrêmement limité dans le choix des mots. Toutefois, il a tout intérêt à bien analyser le schéma des rimes avant de se lancer dans la tradaptation des paroles, car celui-ci peut refléter le sens de la chanson : par exemple, un croisement de rimes ABAB pourra suggérer un certain dynamisme, que le tradapteur perdrait sans doute en adoptant à la place un schéma continu AAAA.
Voir aussi : Rime interne, Assonance, Allitération, Accentuation, Accent tonique, Voyelles, Consonnes
(1) Répétition, à l’intérieur d’un même vers, d’un son voyelle accompagné d’un ou plusieurs sons consonnes qui le suivent ou le précèdent (à la différence de l’assonance, qui ne répète qu’un son voyelle).
(2) Tout type de rime s’étendant à deux vers (ou plus) et que l’on rencontre non pas à la fin mais à l’intérieur des vers.
Exemples :
(1) Et sur chaque embûche je trébuche aveuglément
(Yaël Naïm, « New Soul », paroles de Yaël Naïm, tradaptation française d’Antoine Guillemain)
(2) Les rêves qui les hantent
Au large d’Amsterdam
(Jacques Brel, « Amsterdam », paroles de Jacques Brel)
Voir aussi : Rime, Assonance, Allitération
Organisation des temps dans une composition musicale fondée notamment sur la durée des sons, l’alternance des temps forts et des temps faibles, les silences (pauses, césures) environnants.
N.B. : Lorsqu’on parle de rythme, on se situe au niveau musical, lorsqu’on parle de métrique, on se situe au niveau textuel (au niveau des paroles).
Voir aussi : Métrique, Prosodie, Accentuation, Accent tonique, Temps, Temps fort, Temps faible, Mélodie, Césure
Nous estimons que le SENS d’une chanson est contenu non seulement dans le SENS TEXTUEL de ses paroles, mais aussi dans son SENS MUSICAL et qu’il s’agit de deux paramètres interdépendants.
Nous nommons « SENS TEXTUEL » le sens des idées développées et évoquées par les paroles de la chanson, ce que dit le texte des paroles, ce que la chanson fait dire. Le sens textuel est présent dans le fond des paroles. (N.B. : On aurait pu parler de « sens littéral », mais nous préférons « sens textuel » car « sens littéral » évoque fatalement « traduction littérale ». Or, on peut traduire le sens textuel de manière non littérale).
Nous nommons « SENS MUSICAL » ce qu’exprime la « musicalité » de la chanson, ce que la chanson fait entendre. Le sens musical est présent (1) dans la forme des paroles (= les paramètres formels : rime, métrique, accentuation, prosodie…) et (2) dans la « musique » de la chanson, c’est-à-dire tout ce qui s’entend et n’est pas du texte (l’instrumentation, la mélodie, le rythme, la voix du chanteur et son interprétation, etc.).
La forme des paroles n’est pas choisie au hasard par le parolier, tout comme la musique n’est pas choisie au hasard par le compositeur. Et ces deux dimensions ne sont pas choisies indépendamment l’une de l’autre. Elles ne sont pas non plus choisies indépendamment du sens textuel des paroles.
Nous postulons donc que, tout comme le sens textuel des paroles, la musicalité de la chanson est porteuse de sens et que fond des paroles, forme des paroles et musique sont intrinsèquement liés et s’illustrent mutuellement. De plus, ces trois éléments forment un tout indivisible : le texte des paroles seul ou la musique seule n’a pas de raison d’être car l’un a été créé pour être posé sur l’autre, et la forme et le fond des paroles sont indissociables.
Le sens musical est parfois même plus important que le sens textuel : il arrive qu’une phrase soit choisie pour les jeux de sons (répétitions, rimes…) qu’elle va produire avec les vers précédents. Le sens textuel passe alors au second plan. Dans ce cas, le traducteur aurait tort de proposer une traduction uniquement centrée sur le sens de la lettre. C’est le principe même du jeu de sons qui est porteur de sens, et c’est plutôt l’intention créatrice que le traducteur doit chercher à reproduire s’il veut traduire « le sens ».
Pour cette raison, nous pensons qu’une bonne traduction de chanson est forcément une tradaptation : seule une traduction qui s’efforce d’équilibrer au mieux la forme et le fond des paroles originales tout en prenant en compte la musique sur laquelle elles sont posées peut se prétendre « fidèle ».
Nous proposons donc une nouvelle conception du « sens » en traduction de chanson. Selon nous, les traductions ne prenant en compte que le sens textuel des paroles sont déséquilibrées car elles ne traduisent pas l’intégralité du sens, puisque ce sens est également porté par la musicalité, même s’il est moins palpable et plus difficilement descriptible que le sens textuel.
Voir aussi : Forme, Fond, Fidélité
Voir Sens
Voir Sens
On parle de sous-traduction lorsque la traduction d’un énoncé ne rend qu’une partie de son sens, de ses nuances ou de l’effet qu’il produit sur le public d’origine.
Ainsi, on pourra dire que le verbe anglais demand est sous-traduit si on le traduit par « demander », alors qu’il a plutôt le sens fort d’« exiger ».
Remarquons cependant que les notions de sous-traduction et de sur-traduction reposent sur une conception de la traduction où une équivalence parfaite entre le texte de départ et le texte d’arrivée serait possible et où le passage d’une langue à l’autre pourrait se faire sans occasionner aucune perte ni aucun gain. Ces notions sont donc en grande partie un leurre puisqu’il y a toujours, dans toute traduction, des aspects « sous-traduits » et des aspects « sur-traduits » et elles sont peu justifiées en tradaptation de chanson, où l’unité de traduction est, bien souvent, la chanson dans son entier.
Exemple :
Never mind I’ll find
Someone like you
Je retrouverai
Quelqu’un comme toi
(Adele, « Someone Like You », paroles d’Adele et Dan Wilson, tradaptation française d’Antoine Guillemain)
Ici, on peut argumenter que la traduction de « Never mind I’ll find… » par « Je retrouverai… » plutôt que « Tant pis, je retrouverai… » ou « Pas grave, je retrouverai… » constitue une sous-traduction*, car la nuance amère et désabusée contenue dans « Never mind » n’est pas rendue. Cependant, il faut se garder de comparer ligne à ligne, et les nuances perdues peuvent être regagnées ailleurs dans la chanson par effet de compensation (voir ce mot).
* Pour ce qui concerne le sens textuel en tout cas, car si on considère la métrique, une traduction par « Tant pis, je retrouverai » ou « Pas grave, je retrouverai » constituerait plutôt une sur-traduction !
Voir aussi : Sur-traduction, Équivalence, Compensation, Fidélité
On parle de sur-traduction lorsque la traduction d’un énoncé contient un élément de sens ou une nuance supplémentaire par rapport à l’original, ou produit un effet supplémentaire sur le public d’arrivée.
Ainsi, on pourra dire que la phrase « He is 16 years old » est sur-traduite si on la traduit par « Il est vieux de 16 ans » (même si c’est bien ce qu’elle signifie littéralement) car « He is 16 years old » est simplement ce que les anglophones utilisent naturellement pour dire « Il a 16 ans ». En français, « Il est vieux de 16 ans » ajoute une nuance « vieillesse » qui n’est pas ressentie en anglais dans « He is 16 years old ».
Remarquons cependant que les notions de sur-traduction et de sous-traduction reposent sur une conception de la traduction où une équivalence parfaite entre le texte de départ et le texte d’arrivée serait possible et où le passage d’une langue à l’autre pourrait se faire sans occasionner aucune perte ni aucun gain. Ces notions sont donc en grande partie un leurre puisqu’il y a toujours, dans toute traduction, des aspects « sous-traduits » et des aspects « sur-traduits » et elles sont peu justifiées en tradaptation de chanson, où l’unité de traduction est, bien souvent, la chanson dans son ensemble.
Exemple :
‘Cause baby
There ain’t no mountain high enough
Car tu vois
Les montagnes peuvent bien se dresser
(Marvin Gaye et Tami Terrell, « Ain’t No Mountain High Enough », paroles de Nickolas Ashford et Valerie Simpson, tradaptation française d’Antoine Guillemain)
Ici, traduire « baby » par « bébé » (ou « chérie », etc.) aurait constitué, à notre avis, une sur-traduction. Il s’agit d’un tic de langage des chansons en anglais beaucoup plus courant qu’en français, où « bébé », « chérie », etc. possèdent une connotation affective beaucoup plus marquée.
Voir aussi : Sous-traduction, Équivalence, Compensation, Fidélité
Syllabe d’un mot portant (ou non) un accent tonique. (On dit parfois aussi : syllabe forte, syllabe faible).
Voir Accentuation, Accent tonique, Appui
Nous nommons « syllabe allongée » une syllabe dont le chanteur fait longuement traîner le son voyelle (parfois sur des notes différentes : voir mélisme). Sur ce site, dans les transcriptions de paroles, les syllabes allongées sont généralement signalées par un trait d’union suivi d’un redoublement ou d’une multiplication de la voyelle allongée.
Exemple :
When she was just a gi-i-i-irl
She expected the wo-o-o-orld
But it flew away from her rea-ea-ea-each
So she ran away in her slee-ee-ee-eep
Petite fille de la Te-e-e-erre
Elle avait tout pour e-e-e-elle
Mais la Terre elle s’est fait la be-e-e-elle
Alors elle fuit dans le sommei-ei-ei-eil
(Coldplay, « Paradise », paroles de Guy Berryman, Jon Buckland, Will Champion et Chris Martin, tradaptation française d’Antoine Guillemain)
Dans cette chanson, la voyelle du dernier mot de chaque vers est considérablement allongée. On n’a pas pu placer n’importe quelle voyelle au même endroit en français. Dans le vers 2, par exemple, chanter « Elle attendait le mon-on-on-onde » aurait été très problématique, à cause du caractère nasal de la voyelle [ɔ̃] de « monde ».
Contraction qui consiste à prononcer en une seule syllabe deux sons voyelles en contact.
Il peut être utile de faire la synérèse pour des raisons de métrique.
Exemple :
Dans la jungle terrible jungle
Le lion est mort ce soir
(Henri Salvador, « Le lion est mort ce soir », paroles de Luigi Creatore, Hugo E Peretti, B Y Forster, Al Brackman, tradaptation française d’Henri Salvador)
Ici, « lion » est prononcé en une seule syllabe (plutôt que li-on) pour coller à la métrique.
Voir aussi : Diérèse, Contraction, Mélisme, Métrique
Division d’une mesure qui donne l’unité de durée.
Voir aussi : Temps accentué, Temps faible, Temps fort
Temps sur lequel tombe un accent musical, c’est-à-dire temps marqué par un relief, une intensification sonore par rapport aux temps environnants (dits temps faibles). Il peut s’agir d’un temps fort si c’est aussi le pôle principal de la mesure.
En écriture et en tradaptation de chansons, il est préférable de faire coïncider les temps musicalement accentués avec les accents toniques naturels des mots, faute de quoi les paroles peuvent présenter de sérieux problèmes de chantabilité.
Voir aussi : Temps, Temps faible, Temps fort, Accentuation, Accent tonique
Temps non accentué (non intensifié, non mis en relief) musicalement. (Comparer : Temps fort).
Voir aussi : Temps accentué, Temps fort, Accent Tonique, Appui
Temps accentué qui est également le pôle principal de la mesure.
Voir aussi : Temps accentué, Temps faible, Accent Tonique, Appui
Version (écrite dans une langue B) des paroles d’une chanson originale (écrites dans une langue A) qui est un compromis entre fidélité au sens textuel de ces paroles (les idées qu’elles véhiculent) et fidélité au sens musical (présent dans des contraintes de forme telles que rimes, rythme, accentuation, métrique, mais aussi dans l’atmosphère infusée par la musique et la voix de l’interprète). Une tradaptation fait un usage mesuré de stratégies de recréation (voir ce mot).
Nous distinguons quatre types de traduction de chanson : les adaptations libres, les adaptations, les tradaptations et les traductions orientées uniquement vers le sens textuel.
(Consultez la rubrique (Tr)Adaptations célèbres pour en savoir plus et pour des exemples).
Cette vision de la traduction de chanson en tant que « compromis » se retrouve récemment chez des théoriciens de la traduction de chansons tels que Peter Low et Johan Franzon : la meilleure traduction de chanson est l’équilibre optimal, le « juste milieu », le « terrain d’entente » entre le fond et la forme, et entre les différentes et nombreuses contraintes de l’original. Low, par exemple, identifie cinq critères à prendre en compte en traduction de chanson : chantabilité, sens, naturel, rythme et rime. Il utilise une métaphore pour décrire ce compromis, qui répond au « Principe du Pentathlon » : « Le Principe du Pentathlon suppose (…) que toute modification [des paroles] ne peut constituer de véritable amélioration que si elle augmente la somme totale des cinq critères, sans quoi elle ne présente aucune réelle valeur. » Johan Franzon et Klaus Kaindl vont plus loin en soulignant que la chanson est un genre multiple où texte et musique sont essentiellement imbriqués l’un dans l’autre, et conçus pour s’épouser parfaitement. Dès lors, non seulement le texte est musique (la musicalité de la chanson est présente dans la forme des paroles – rimes, métrique, prosodie, répétitions, etc.) mais la musique du texte ainsi que l’instrumentation et la voix de l’interprète contribuent au sens de la chanson autant que les idées véhiculées dans les paroles. Par conséquent, le texte et la musique d’une chanson ont un caractère indivisible. Il en résulte que traduire convenablement les paroles d’une chanson revient forcément à trouver ce fameux compromis, sans quoi la traduction ne serait que partielle et viendrait rompre le caractère essentiellement indivisible de la chanson.
Cet entremêlement des différentes composantes et ce brouillage des frontières entre texte et musique nous conduisent donc logiquement à brouiller aussi la frontière entre traduction et adaptation et à refuser cette dichotomie. En effet, on suppose généralement la traduction « plus fidèle » et l’adaptation « plus libre », mais cette représentation ne tient pas en traduction de chanson puisque, comme nous l’avons vu, il est nécessaire d’être aussi fidèle au fond qu’à la forme, et ces deux composantes sont entremêlées de toute façon. Par conséquent, lorsqu’il s’agit de traduction de chanson, nous considérons que traduction et adaptation font partie d’un même continuum.
Ainsi, tradaptation (mot-valise combinant les termes « traduction » et « adaptation ») suppose que traduction = adaptation.
D’une manière générale, nous pensons que toute traduction (même technique) suppose une part d’adaptation, et que l’adaptation est une stratégie de traduction à part entière et non un aveu d’échec de la traduction.
Le terme « tradaptation » est emprunté à Michel Garneau, qui l’a utilisé pour la première fois en 1973 pour décrire ses propres traductions/adaptations de pièces de Shakespeare, qui ne sont « ni des traductions littérales de Shakespeare ni des adaptations qui modifient largement le fond du texte source » (Drouin, 2004). Le terme « résiste à toute distinction entre les deux pratiques » (ibid.). Cependant, Garneau, qui a fréquemment recours au joual (argot populaire québécois), utilise surtout le concept pour illustrer la résistance du Québec aux traductions françaises, dans le contexte spécifique de la traduction/adaptation théâtrale d’œuvres canoniques (Drouin, 2004 ; Hellot, 2009).
Le terme a été repris notamment en 2004 par le traductologue Yves Gambier, qui écrit, dans un contexte de traduction audiovisuelle : « La pseudopolarité entre traduction (plus dépendante d’un « original ») et adaptation (relative autonomie par rapport à cet « original ») ne tient plus : il y a circulation textuelle et surtout synergie entre systèmes sémiotiques. D’où la notion proposée de tradaptation cinématographique (ou transadaptation), apte à englober tous les types de transformations. La tradaptation permet donc (…) de dépasser les oppositions dichotomiques habituelles (…).
Voir aussi : Adaptation, Adaptation libre, Contraintes, Fidélité
Réaliser une tradaptation.
Personne qui réalise une tradaptation.
C’est l’étude de la traduction (de l’acte de traduire) et des traductions (des textes traduits).
Certains prêtent au terme une définition strictement linguistique (l’étude des « changements » — essentiellement grammaticaux — qui se produisent lors du passage d’une langue à une autre et des « opérations linguistiques » ou « procédés de traduction » ayant conduit à ces changements) mais la traductologie est en fait un domaine très large qui couvre une multitude d’approches de la traduction : linguistiques, stylistiques, philosophiques, fonctionnalistes, empiriques, etc.
Personne qui étudie la traduction et les traductions.
Procédé courant de traduction (décrit pour la première fois en 1958 par Vinay et Darbelnet) impliquant un changement de catégorie grammaticale.
Par exemple :
- le signifié d’un verbe est rendu par un nom (nominalisation) : As soon as he arrived / Dès son arrivée
- le signifié d’un nom est rendu par un verbe (verbalisation) : When there’s a will, there’s a way / Quand on veut, on peut
- le signifié d’un verbe est rendu par un adverbe : Il ne tarda pas à changer d’avis / He soon changed his mind
- etc.
Citons quelques cas particuliers bien connus de transposition :
- Le chassé-croisé : Double transposition avec inversion de l’ordre de présentation des idées des deux éléments concernés.
Ex. : She tiptoed (1) across (2) the hallway / Elle a traversé (2) le couloir sur la pointe des pieds (1).
- L’amplification : La traduction emploie plus de mots que l’original pour exprimer la même idée (quand la traduction d’une préposition nécessite plus de mots, on parle d’étoffement)
Ex. : The woodland path / Le sentier qui traverse la forêt
Ex. : The train from London / Le train en provenance de Londres
- L’économie : La traduction emploie moins de mots que l’original pour exprimer la même idée (quand la traduction d’un groupe de mots se réduit à une préposition exprimant la même idée, on parle de dépouillement)
Ex. : C’est la rédactrice de la rubrique beauté de « ELLE » / She’s the beauty editor at ‘ELLE’
Ex. : Elle compte les jours qui la séparent de son anniversaire / She’s counting the days to her birthday
Exemple :
The sun goes down
The stars come out
Traînée d’étoiles
Soleil couchant
(The Wanted, « Glad You Came », paroles de Steve Mac, Wayne Hector et Ed Drewett, tradaptation française d’Antoine Guillemain)
Ici, la proposition (sujet + verbe) « The sun goes down » (« Le soleil se couche ») a été transposée par le groupe nominal « Soleil couchant ».
C’est la portion minimale de texte original qu’un traducteur prend en considération pour produire une portion de sa traduction.
Lorsqu’on traduit, on peut se poser la question de savoir à quel niveau on traduit, et ce que l’on traduit exactement : des mots ? des groupes de mots ? des phrases ? des idées ? Ou l’unité de traduction est-elle encore plus large ?
En 1958, dans leur fameuse Stylistique comparée du français et de l’anglais, les linguistes et stylisticiens Jean-Paul Vinay et Jean Darbelnet définissent l’unité de traduction comme une unité de pensée, c’est-à-dire le « plus petit segment de l’énoncé dont la cohésion des signes est telle qu’ils ne doivent pas être traduits séparément ». La notion part d’une réalité simple : on ne traduit pas des mots, mais des « idées et des sentiments ». En fait, on traduit ce que les mots expriment en combinaison avec d’autres mots. Cependant, avec la pratique, on s’aperçoit qu’un tel « découpage » en « unités de traduction » est artificiel et que les unités lexicales sont souvent difficiles à circonscrire. Et puis, en fonction du contexte, la même phrase se traduira de manières différentes, pas toujours synonymes.
Pour bien traduire, il est souvent nécessaire de prendre encore plus de recul sur le texte. Preuve en est qu’on ne peut traduire aucun texte de manière satisfaisante sans l’avoir lu en entier, car la signification des mots, locutions, phrases, et même des paragraphes n’est pas figée et se traduit toujours au regard d’un contexte plus large. On est alors conduit à ne plus envisager sa traduction comme la somme de différentes unités de pensée indépendantes mises bout à bout mais comme un ensemble mouvant de relations interdépendantes et d’idées qui se font écho.
C’est d’autant plus vrai en traduction de chansons. Pour traduire un genre à fortes contraintes comme les paroles d’une chanson, il est nécessaire de prendre en compte non seulement leur sens textuel mais aussi leur forme – deux caractéristiques interdépendantes, indivisibles et qui s’illustrent mutuellement –, et on voit bien que les différents effets produits par les rimes, le rythme, les répétitions, les assonances et allitérations ou encore par le schéma des rimes recouvrent une portion de texte qui s’étend bien au-delà de la simple phrase ou du simple vers. Il faut également prendre en compte l’atmosphère infusée par la musique de la chanson, qui peut nuancer la compréhension du texte. La traduction de chanson apparaît donc comme un genre intrinsèquement multimodal, où le matériau de départ est la somme indivisible d’un texte (dont la forme occupe une place au moins aussi importante le fond) et d’une musique. Remarquons en outre que l’unité de traduction est d’autant plus difficile à déterminer qu’on ne sait pas toujours où le vers commence et où il se termine (il n’y a pas de ponctuation dans les paroles, et on n’a pas toujours accès à une transcription de celles-ci : la chanson est un genre oral et non écrit). Par ailleurs, bon nombre de strophes, à commencer par le refrain, sont répétées à différents endroits de la chanson, ce qui n’est pas le cas dans un autre type de discours. Pour toutes ces raisons, l’unité de traduction devient, selon nous, la chanson entière : les idées, les images, les mots, les vers et leur forme musicale se nourrissent et s’illustrent tellement les uns les autres à travers les paroles qu’ils ne peuvent être appréhendés qu’à l’aune de la globalité de la chanson.
Ainsi, pour mieux servir l’original, le tradapteur a tout intérêt à repenser l’unité de traduction. Celle-ci devient le texte des paroles dans son entier, ou même une entité multiple comprenant à la fois les paroles et la musique (et parfois le clip), ou encore le texte envisagé dans ses relations intertextuelles avec toutes les chansons du même genre écrites avant lui auxquelles il fait écho. (L’immense majorité des chansons parlent d’amour : s’il n’existait qu’une seule chanson d’amour au monde, et qu’on en écrivait une deuxième, traduirait-on celle-ci de la même façon ?) Des théoriciens de la traduction de chanson comme Kaindl se sont attachés à démontrer qu’il existe un dialogue, une relation dialogique, une intertextualité permanents entre les paroles, la musicalité, et le genre de la chanson. Kaindl considère les paroles d’une chanson comme un « texte multiple » qui comprend également la musique et qui « dialogue » avec d’autres constituants, comme le clip. Il écrit notamment : « Bien sûr, il est indéniable que [les contraintes structurelles que la musique impose au texte verbal] influencent en amont certaines des décisions prises par le traducteur en matière de syntaxe et de prosodie, mais le rôle des constituants non verbaux du texte dépasse largement ces aspects formels et structurels. »
L’idéal serait que le tradapteur connaisse la chanson originale tellement par cœur qu’il pourrait en traduire les paroles dans leur entièreté sans s’arrêter sur les éléments individuels qui la composent. Bien sûr, en pratique, c’est impossible, et le tradapteur est bien obligé de s’appuyer sur des portions de texte plus restreintes pour produire sa tradaptation. Mais si, en les traduisant, il garde à l’esprit que la réelle unité de traduction se situe à un niveau bien plus global, alors le tradapteur de chanson se sent libre de ne pas traduire les idées ligne à ligne, de recourir à des stratégies de compensation et de recréation, notamment en jouant sur les images et les champs lexicaux, etc., au lieu de s’astreindre à « découper » les paroles en unités de sens qu’il traduirait l’une après l’autre. C’est justement ainsi, contrairement aux idées reçues, qu’il sera plus fidèle à la chanson originale.
Voir aussi : Fidélité, Recréation, Contraintes, Tradaptation
Ligne unique de paroles de chanson, fondée notamment sur un nombre de syllabes précis qui s’adapte au rythme de la chanson. Souvent, le vers rime avec un autre vers proche.
Sur ce site, la découpe en différents vers dans la transcription des paroles d’une chanson n’est pas prioritairement dictée par le sens des paroles et la logique syntaxique, mais par le schéma des rimes et, surtout, par les arrêts marqués par l’interprète : lorsqu’il ou elle marque une longue pause, nous allons à la ligne.
Exemple :
Voilà
Tu as
Fait ta vie
Tu t’es
Marié elle est
Si jolie
(Adele, « Someone Like You », paroles d’Adele et Dan Wilson, tradaptation française d’Antoine Guillemain)
Ici, nous n’écrivons pas « Voilà tu as fait ta vie / Tu t’es marié / Elle est si jolie » car nous suivons les pauses marquées par la chanteuse Adele. Nous considérons « voilà » comme un vers à part entière.
Voir : Syllabe allongée
Son du langage dont l’articulation est caractérisée par le libre écoulement du flux d’air expiré à travers le conduit vocal qui ne comporte aucune obstacle susceptible d’engendrer la formation d’un bruit audible (Larousse).
En français, on compte communément six voyelles écrites (A, E, I, O, U, Y) et seize voyelles phonétiques, auxquelles il faut rajouter trois semi-voyelles (ou semi-consonnes).
En anglais, on compte communément cinq voyelles écrites (A, E, I, O, U) et douze voyelles phonétiques, auxquelles il faut rajouter huit diphtongues (voir ce mot) et cinq triphtongues.
Français
a (papa)
ɑ (pâte)
e (né)
ɛ (terre)
i (gris)
o (saut)
ɔ (porte)
u (cou)
y (grue)
ə (fenêtre)
œ (fleur)
ø (jeu)
ɑ̃ (avant)
ɔ̃ (ton)
ɛ̃ (brin)
œ̃ (brun)
Semi-voyelles :
j (ail, fauteuil)
w (fouet, voir)
ɥ (fuite, lui)
Anglais RP (« standard »)
ɪ (swim)
i: (sheep)
æ (cat)
ɑ: (car)
ʊ (book, put)
u: (food, suit, shoe)
ɒ (hot, cough)
ɔ: (door)
e (egg, said)
ə (mother, America, possible)
ɜ: (learn, bird)
ʌ (cup, enough, butter)
Voir aussi : Diphtongue
On classe les voyelles selon différents critères :
- leur point d’articulation : voyelles antérieures, quasi-antérieures, centrales, quasi-postérieures, postérieures.
- l’arrondissement des lèvres : voyelles arrondies, voyelles non arrondies.
- le degré d’aperture (d’ouverture de la bouche) : voyelles fermées, pré-fermées, mi-fermées, moyennes, mi-ouvertes, pré-ouvertes, ouvertes.
- le degré d’élévation du voile du palais : voyelles orales, voyelles nasales.
- leur quantité (ou longueur, ou durée) : voyelles brèves, voyelles longues.
Certaines voyelles sont moins chantables que d’autres. Ainsi, les voyelles nasales sont difficiles à chanter et souvent laides à allonger : on aura du mal à mettre en voix des mots comme « honte », « brun », etc.
De même, a priori, plus la voyelle est ouverte, plus elle est chantable : les rimes en « a » sont généralement bien plus chantables que les rimes en « i » (voyelle fermée).
Cependant, en tradaptation de chanson, si l’original contient un certain type de voyelles, il faut se demander si ce n’est pas pour une raison précise – pour refléter les sentiments du personnage dont il est question dans la chanson, ou pour s’adapter aux possibilités vocales de l’interprète, par exemple – et si on peut se permettre ou non de les remplacer par des voyelles d’un autre type.
Exemples :
1. I’m gonna swing
From the chandelier
From the chandelier
I’m gonna live
Like tomorrow doesn’t exi-ist
Like it doesn’t exist
I’m gonna fly
Like a bird through the night
Feel my tears as they dry
I’m gonna swing
From the chandelier
From the chandelier
(Sia, « Chandelier », paroles de Sia Furler et Jesse Shatkin)
Les rimes du refrain de cette chanson reposent exclusivement sur des voyelles fermées : [ɪ] (dans swing, exist et live), [ɪə] (dans chandelier) (diphtongue : on glisse d’une voyelle ouverte vers une voyelle fermée), et [aɪ] (diphtongue : on glisse d’une voyelle ouverte vers une voyelle moyenne) (dans fly, night et dry). Nous pensons qu’elles reflètent directement la détresse de la femme dont il est question dans la chanson, qui noie ses problèmes dans la fête, l’excès, la débauche et l’alcool. En français, on aurait sans doute tort de faire terminer les vers du refrain uniquement par des voyelles ouvertes, qui produiraient sans doute un effet radicalement opposé.
2. When she was just a gi-i-i-irl
She expected the wo-o-o-orld
But it flew away from her rea-ea-ea-each
So she ran away in her slee-ee-ee-eep
Petite fille de la Te-e-e-erre
Elle avait tout pour e-e-e-elle
Mais la Terre elle s’est fait la be-e-e-elle
Alors elle fuit dans le sommei-ei-ei-eil
(Coldplay, « Paradise », paroles de Guy Berryman, Jon Buckland, Will Champion et Chris Martin, tradaptation française d’Antoine Guillemain)
Dans cette chanson, la voyelle du dernier mot de chaque vers est considérablement allongée. On n’a pas pu placer n’importe quelle voyelle au même endroit en français. Dans le vers 2, par exemple, chanter « Elle attendait le mon-on-on-onde » aurait été très problématique, à cause du caractère nasal de la voyelle [ɔ̃] de « monde ».
Voir aussi : Syllabe allongée, Consonnes, Diphtongue, Chantabilité, Assonance, Longue, Brève, Accent tonique
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