Chandelier (2014)

De délire en délire

Interprète(s) : Sia

Paroles originales : Sia Furler et Jesse Shatkin

Tradaptation : Antoine Guillemain

La chanson décrit la spirale alcoolique et de débauche dans laquelle s’enferme une femme (on suppose qu’il s’agit d’une femme vu le premier vers de la chanson : « Party girls don’t get hurt ») qui passe ses soirées à faire la fête, à s’enivrer et à se livrer à des excès pour noyer son mal-être. Ces folles soirées lui permettent de vivre dans l’instant et de se sentir invulnérable, mais après une nuit passée à boire verre sur verre, la honte l’envahit de nouveau. Elle se reproche de ne pouvoir se sortir de cet engrenage, seul moyen pour elle de tenir le coup.

Bien que le refrain, d’apparence enjouée, semble décrire le comportement typique d’une adepte de la bringue et des soirées arrosées, les paroles dans leur ensemble – dont les nombreuses répétitions ne font qu’accentuer cette routine dépressive – font clairement de ce titre une chanson triste.

Le mélange d’un rythme enlevé, d’un son électro d’une part, et de paroles, d’une interprétation empreintes d’amertume d’autre part, crée un décalage et produit sur l’auditeur un effet pour le moins dérangeant. Notons que le clip présente une enfant se livrant à une danse des plus singulières, non pas dans un décor type soirée entre amis ou boîte de nuit comme on pourrait s’y attendre, mais dans un cadre particulièrement lugubre et dépouillé, qui reflète à l’évidence le désarroi et le désert existentiel de la femme en question.

On peut voir dans « Chandelier » une critique des nombreuses chansons commerciales actuelles faisant l’apologie de la culture de la fête et de l’alcool, ou encore une dénonciation de l’alcool et des plaisirs éphémères comme moyens d’échapper à la réalité.

Premier couplet :

Le premier couplet commence (deux premiers vers) par un constat général : les filles qui font la fête ne connaissent pas la souffrance, n’éprouvent aucun sentiment. Entre les lignes, on lit déjà : préférer une vie de plaisirs et de débauche est un moyen de perdre le contact avec la réalité, de ne pas se confronter à son propre mal-être et à ses propres sentiments.

Au troisième vers, le « je » apparaît, doublé d’un reproche (la femme se pose une question à elle-même) : quand tirera-t-elle enfin les leçons (sous-entendu : de son comportement) ?

Les deux derniers vers sont plus ambigus, essentiellement parce que le texte ne dit pas à quoi renvoie le « it ». On devine cependant qu’il s’agit de son mal-être, et on comprend qu’elle dit repousser, refouler, réprimer la douleur de ses propres sentiments.

Deuxième couplet :

Le deuxième couplet pose davantage encore le contexte de dépravation dans lequel évolue la femme : elle dit être toujours partante pour prendre du bon temps, évoque son téléphone saturé de messages ou d’appels (de ses proches qui l’incitent à faire la fête), les gens qui sonnent à sa porte (pour la même raison). Dans les deux derniers vers, elle dit ressentir l’amour (de ces gens). Bien évidemment, un amour fondé sur des seuls coups de téléphone et invitations à faire la fête ne peut qu’être illusoire et superficiel. Peut-être essaie-t-elle de se convaincre qu’il est authentique (le vers « I feel the love » est répété une fois, comme si elle s’efforçait d’y croire) ou peut-être est-elle parfaitement consciente de l’artificialité de ses relations. Quoi qu’il en soit, ces deux derniers vers nous apparaissent teintés d’amertume.

Pré-refrain :   

Le pré-refrain, fait d’une énumération (one – two – three) suivie de l’impératif du verbe drink (boire), et d’une réitération du même vers, souligne l’aspect répétitif de son mode de vie : elle boit verre sur verre, et recommence. On comprend que la consommation d’alcool est au cœur de ses soirées. Il s’agit vraisemblablement du verbe drink (boire) plutôt que du nom drink (boisson), car drink aurait porté la marque du pluriel dans le cas contraire. Remarquons que cet impératif (« bois ! ») peut faire penser à ce que l’anglais nomme peer pressure, c’est à dire à la pression mutuelle exercée par des amis en soirée pour s’enivrer, boire leurs verres cul sec, se prouver leur bravoure, etc.

Le dernier vers (« Throw ‘em back till I lose count ») enfonce le clou : elle continue à descendre ses verres jusqu’à ne plus savoir combien elle en a bu.

Refrain :

Commençons par indiquer que le terme anglais « chandelier », emprunté au français, a vu son sens se modifier et ne signifie pas « chandelier » mais… « lustre » ! (« Chandelier » se disant candlestick).

Si on considère le vers « I’m gonna swing from the chandelier » au pied de la lettre, la femme dit qu’elle va s’accrocher au lustre et se balancer. Mais ne concluons pas trop vite que le refrain parle d’une ivrogne grimpant au lustre d’une soirée ou boîte de nuit haut-de-gamme pour s’y suspendre à travers la salle à la manière de Tarzan ou Jane. En réalité, même si le terme « chandelier » évoque effectivement plutôt une atmosphère chic, « swing from the chandelier » est une expression idiomatique peu courante, ou en tout cas une métaphore, dénotant l’excès, la folie, la débauche, souvent (quoique ici pas nécessairement) doublée d'une connotation sexuelle. En clair, la femme nous dit qu’elle a l’intention de se livrer à des excès sans aucune pudeur ni retenue. En français, on pense à des expressions telles que faire la bringue, s’éclater un maximum, faire les quatre-cents coups, ou – pour utiliser une métaphore « lumineuse » elle aussi – brûler la chandelle par les deux bouts. Mais elle n’est pas forcément dans un lieu ou se trouve un lustre. En réalité, la chanson ne précise nulle part où elle passe les soirées en question, même si on peut supposer que ce n’est pas chez elle (cf. « Gotta get out / Gotta run from this », au couplet 4).

Le vers suivant confirme cette attitude libérée, voire dissolue : elle compte agir comme si demain n’existait pas (et donc, ne pense qu’au présent, vit dans l’instant, dans l’insouciance). Puis elle se compare à un oiseau qui vole : jusqu’au bout de la nuit, elle compte agir avec la même légèreté, la même liberté, sans se poser de questions. Le vers « [I’m gonna] feel my tears as they dry » rend explicite la tristesse latente que l’on sentait depuis le début de la chanson, puisqu’il est question de larmes. La femme explique que ses larmes vont sécher lors de cette soirée : elle va littéralement noyer son mal-être dans la débauche (et l’alcool) pour se sentir mieux.

Troisième couplet :

Le troisième couplet met l’accent sur l’état particulièrement désespéré et chaotique de la femme. On comprend qu’elle survit avec l’énergie du désespoir, que la perspective de ces soirées alcoolisées est tout ce qui lui permet de tenir. Elle refuse d’ouvrir les yeux (comprenons : de se confronter à ses problèmes). Son verre est toujours plein, et elle passe la nuit à s’enivrer jusqu’au lever du jour. Notons aussi que l’expression « [I] won’t look down » (littéralement : « Je refuse de regarder en bas ») joue sur le double sens de la phrase-clé du refrain (« I’m gonna swing from the chandelier ») : au figuré, la femme refuse de regarder la tragique réalité de sa vie en face, mais, au sens propre, si on l’imagine accrochée à son lustre, elle refuse également de regarder au-dessous d’elle, et garde les yeux rivés vers le plafond.

Quatrième couplet :

Le quatrième couplet commence là où se terminait le troisième : le jour s’est levé ; on comprend que la femme a passé toute la nuit à faire la noce. La métaphore du lever du jour signifie bien sûr le retour des problèmes. Elle est dans un sale état, et les effets de l’alcool semblent s’être partiellement estompés puisqu’elle dit devoir s’en aller immédiatement, devoir fuir, même. Elle a honte (vraisemblablement de son comportement de la nuit précédente, et/ou de ce qu’elle cherche à fuir). La formulation du dernier vers (« Here comes the shame ») sous-entend une certaine inévitabilité, une certaine routine des sentiments : on entend presque « ça y est, (re)voilà la honte ! ». À l’évidence, la femme est habituée à éprouver de la honte après être passée par l’insouciance et l’audace puisées dans l’alcool.