Amsterdam (1964)

Interprète(s) : Jacques Brel

Paroles : Jacques Brel

Amsterdam (1967)

Interprète(s) : Scott Walker (1967), David Bowie (1973)

Paroles : Mort Shuman

Amsterdam

Dans le port d'Amsterdam


Y a des marins qui chantent


Les rêves qui les hantent

Au large d'Amsterdam


 

Dans le port d'Amsterdam


Y a des marins qui dorment


Comme des oriflammes


Le long des berges mornes

 

Dans le port d’Amsterdam

Y a des marins qui meurent

Pleins de bière et de drames

Aux premières lueurs


 

Mais dans le port d'Amsterdam


Y a des marins qui naissent


Dans la chaleur épaisse

Des langueurs océanes

 

Dans le port d’Amsterdam

Y a des marins qui mangent

Sur des nappes trop blanches

Des poissons ruisselants

Ils vous montrent des dents

À croquer la fortune

À décroisser la lune

À bouffer des haubans


Et ça sent la morue 
jusque dans le cœur des frites


Que leurs grosses mains invitent
 à revenir en plus

Puis se lèvent en riant
 dans un bruit de tempête

Referment leur braguette
 et sortent en rotant

 

Dans le port d'Amsterdam


Y a des marins qui dansent


En se frottant la panse


Sur la panse des femmes

Et ils tournent et ils dansent


Comme des soleils crachés


Dans le son déchiré


D’un accordéon rance

 

Ils se tordent le cou pour mieux s'entendre rire


Jusqu'à ce que tout à coup 
l’accordéon expire


Alors le geste grave 
alors le regard fier


Ils ramènent leur batave jusqu'en pleine lumière

 

Dans le port d'Amsterdam

Y a des marins qui boivent


Et qui boivent et reboivent
 et qui reboivent encore

Ils boivent à la santé
 des putains d’Amsterdam


De Hambourg ou d’ailleurs
 enfin ils boivent aux dames


Qui leur donnent leur joli corps 
qui leur donnent leur vertu

Pour une pièce en or


Et quand ils ont bien bu


Se plantent le nez au ciel

Se mouchent dans les étoiles

Et ils pissent comme je pleure


Sur les femmes infidèles

 

Dans le port d’Amsterdam


Dans le port d’Amsterdam 

Amsterdam

In the port of Amsterdam

There’s a sailor who sings

Of the dreams that he brings

From the wide open sea

 

In the port of Amsterdam

There’s a sailor who sleeps

While the river bank weeps

With the old willow tree

 

In the port of Amsterdam

There’s a sailor who dies

Full of beer full of cries

In a drunken down/town (?) fight

 

But in the port of Amsterdam

There’s a sailor who’s born

On a muggy hot morn

By the dawn’s early light

 

In the port of Amsterdam

Where the sailors all meet

There’s a sailor who eats

Only fish heads and tails

He will show you his teeth

That have rotted too soon

That can swallow the moon

That can haul up the sails

And he yells to the cook with his arms open wide

Bring me more fish set it down by my side

And he wants so to belch but he’s too full to try

So he gets up and laughs and he zips up his fly

 

In the port of Amsterdam

You can see sailors dance

Paunches bursting their pants

Grinding women to paunch (?)

They’ve forgotten the tune

That their whiskey voices croaked (?)

Splitting (?) the night

With the roar of their jokes

 

And they turn and they dance and they laugh and they lust

Till the rancid sound of the accordion bursts

And then out to the night with their pride in their pants

And the sluts that they tow underneath the street lamps

 

In the port of Amsterdam

There’s a sailor who drinks

And he drinks and he drinks and he drinks once again

He drinks to the health of the whores of Amsterdam

Who have promised their love to a thousand other men

They’ve bargained their bodies and their virtue’s all gone

For a few dirty coins

And when he can't go on

He plants his nose in the sky

And he wipes it up above

And he pisses like I cry

For an unfaithful love

 

In the port of Amsterdam

In the port of Amsterdam

Le coup d’œil du tradapteur

La version d' "Amsterdam" écrite par Mort Shuman nous semble être un formidable exemple de tradaptation réussie. Le sens textuel est très proche de l'original, y compris dans le détail, et les rimes et la métrique sont conservées. La seule différence majeure qui puisse surprendre est sans doute le passage de la troisième personne du pluriel à la troisième du singulier : la version anglaise décrit un marin en particulier, et non tous les marins d'Amsterdam.
Si quelques ajustements ont été nécessaires, en particulier lorsque l'original était particulièrement riche en métaphores, l'anglais abonde lui aussi en images particulièrement crues, et le registre est tout aussi soutenu par endroits. La métrique de plusieurs vers, particulièrement ciselée, se coule très bien dans le rythme lancinant de la chanson. Citons par exemple les vers "So he gets up and laughs and he zips up his fly" et "And they turn and they dance and they laugh and they lust", où encore le parallélisme "That have rotted... / That can swallow... / That can haul up..." qui fait écho au "À croquer... / À décroisser... / À bouffer...". Si quelques extraordinaires métaphores nées sous la plume de Jacques Brel ne se retrouvent pas en anglais ("décroisser la lune", "le coeur des frites", "soleils crachés"), d'autres sont introduites, par effet de compensation : ainsi "their whiskey voice(s) croaked" (où les voix des marins sont assimilées au whisky) et "till the rancid sound of the accordion bursts" (où c'est le son de l'accordéon qui est décrit comme rance, et qui éclate). Citons aussi le verbe "tow", qui appartient au champ lexical maritime, utilisé pour décrire l'action des marins qui ramènent leurs prostituées sous la lumière des réverbères, ou encore l'expression "with their pride in their pants" (litt. : "la fierté dans le pantalon"). Enfin, "On a hot muggy morn by the dawn's early light" est une tournure efficace à la fois crue et poétique qui rappelle le style de la fameuse phrase "Dans la chaleur épaisse des langueurs océanes".